Notes rédigées par nos adhérents
LE BAL DES FOLLES, de Victoria Mas
Février-mars 1885, La Pitié-Salpêtrière. C’est là qu’on enfermait les folles, ou plutôt celles que, pour diverses raisons, « on » traitait comme telles et préférait interner, c’est-à-dire définitivement isoler du monde réel.
« On » pouvait être un membre de la famille inspiré trop souvent par des considérations égoïstes : un héritage, une jeune femme dont le comportement inhabituel dans une société corsetée pouvait faire scandale et empêcher un « beau mariage », une promotion, etc. Bref, la reconnaissance de ses pairs, y compris pour l’accès à certains postes de responsabilité, notamment politiques. Il s’agissait donc de femmes qui gênaient. Et à l’époque, la société très masculine, voire machiste, s’en débarrassait définitivement en les confiant à une structure spécialisée dont on ne sortait jamais.
Le professeur Charcot (1825-1893), secondé par son élève Babinski, parmi les innovations humanistes qu’il expérimentait, inventât ce qu’on pourrait appeler, au 20ème siècle, une thérapie comportementale.
Entre autres, il s’agissait, modestement, une fois l’an à la mi-carême, d’offrir à ces femmes la possibilité de s’assumer à l’occasion d’un grand bal masqué. C’était à chacune d’elle de trouver le déguisement et la toilette qui lui rendraient un temps sa dignité d’être humain mais aussi une forme de responsabilité, refusée par principe à toute aliénée.
Ce bal, devenu mondain et couru par le Tout-Paris, montrait que ces « folles » savaient, pour la plupart, se tenir en société. Elles n’étaient peut-être pas si folles que cela, même si leur isolement imposé les amenait à avoir peur des « autres », des supposées normales et donc à fuir les relations sociales, à démontrer qu’elles étaient bien folles.
Victoria Mas, fait parler avec justesse, ou ce que l’on peut en attendre, plusieurs de ces femmes. Elle raconte leurs espoirs et désespoirs, leur univers arbitrairement et définitivement clos, leur attente d’une visite du grand professeur, transformé en une sorte de thaumaturge. Elles (la moitié du genre humain), que les religions et la Société, au 19ème siècle, ont interdit de savoir, d’autonomie et surtout de parole. Les pauvresses, les filles-mères renvoyées dans les bas-fonds et autres interdites de vivre.
Roman écrit avec élégance, sans pathos et convaincant par là même, le livre de Victoria Mas, est un plaidoyer pour le droit à la différence. Et aussi d’espoir dans le progrès des connaissances.
Rose Agnès JACQUESY
Victoria Mas : Le bal des folles, Albin Michel, 2019, 251 pages, 18,90 €.
CE MATIN, MAMAN A ÉTÉ TÉLÉCHARGÉE, de Gabriel Naëj
Précisons d’emblée que Raphaël, le personnage principal, est né en 2015 et que l’action se passe en 2048. À cette époque il existe, comme il se doit, de notables modifications dans la vie quotidienne grâce à l’évolution de nouvelles technologies. Certaines prévisibles à ce jour, telles des lunettes avec enregistreurs visuels et auditifs, permettant de mémoriser et de tracer les instants de la vie « in situ » de tout un chacun, ou l’utilisation de robots ménagers, dressés à volonté. D’autres, et c’est là l’originalité de ce livre, portent essentiellement sur des avancées scientifiques qui rendent possible le
téléchargement de l’esprit, l’« ex-corporation », suivie de la migration de l’esprit « outre corps », dans un androïde pour accéder à une forme d’éternité. Nous assistons à celui de la mère de Raphaël, qu’elle a elle-même organisé de manière clandestine dans une clinique privée.
Le tout sur une trame romancée où Raphaël doit se débattre avec un changement de partenaire, de vie, et surtout avec sa mère (genre Tatie Danièle) qui veut, par amour maternel, atteindre l’immortalité.
Le piquant de cette fiction, de lecture fluide et menée comme un roman policier, est qu’elle est écrite (sous pseudonyme) par l’un de nos experts en Intelligence artificielle, Jean-Gabriel Ganascia*. Aussi, même si l’on n’y croit pas, certains des détails numériques et techniques ou certains questionnements sur les progrès de la science, l’éthique, les déviances du trans-humanisme nous intéressent. Sans parler de la conclusion finale, que nous ne dévoilerons pas, qui fait intervenir jusqu’au centre interplanétaire de cyber sécurité.
*Jean-Gabriel Ganascia a été l’un des deux intervenants de la conférence-débat du 3 octobre 2019 « Où va l’intelligence artificielle ? » (partenariat ADELI, AFAS, Chercheurs Toujours, MURS, SEIN).
Marie-Françoise MERCK
Gabriel Naëj : Ce matin, maman a été téléchargée, Éditions Buchet Chastel, 2019, 224 pages, 14,00 €.
LA BIBLE DES CODES SECRETS, d’Hervé Lehning
C’est avec un plaisir évident, et qu’il sait nous faire partager, que l’auteur nous amène à plonger dans l’histoire de la cryptologie au travers de multiples anecdotes extrêmement bien choisies, détaillées et référenciées. Indispensable dans les domaines diplomatiques, militaires, affaires commerciales, mais aussi ceux des relations amoureuses et des sociétés secrètes, la science des codes secrets remonte à très loin et se poursuit dans le temps présent.
Par exemple vous serez bien étonné d’apprendre que le chiffre utilisé par César l’ait été encore au moins deux fois à l’époque « moderne » que ce soit par les sudistes pendant la guerre de Sécession ou par les Russes au début de la première guerre mondiale. Par contre, vous admettrez facilement que l’écriture secrète soit l’un des 64 arts de la concubine selon le Kamasutra.
L’astuce est de partir de ces anecdotes, et il y en a des « tonnes », pour inviter le lecteur à entrer lui-même dans le système de codage, de décryptage et à s’y exercer lui-même.
Comment résister aux messages donnés pour Edgar A. Poe, Jules Verne, Willy (celui de Colette) ou encore pour les initiés des sociétés secrètes (Templiers, Francs-maçons…) que nous arrivons finalement à décrypter et à reproduire nous-mêmes sur leurs modèles. Nous sommes littéralement entraînés par une multitude d’exemples tous plus attrayants les uns que les autres dont l’auteur nous donne les clés pour pouvoir en profiter. Au passage, nous apprenons qu’il ne faut jamais croire qu’un code puisse être inviolable et qu’il est indispensable d’en modifier le chiffre à tous moments. Idem pour nos mots de passe !
La saga des dictionnaires chiffrés, pour faire correspondre mots et nombres, est décrite depuis la 1ère guerre mondiale (y compris pour l’affaire Dreyfus) jusqu’à l’avènement des machines électromécaniques, telle celle bien connue d’Enigma, machine d’abord conçue pour des relations commerciales avant d’être adoptée par l’armée allemande de la 2ème guerre mondiale. Son système de chiffrage, la façon dont chaque code a pu être cassé est parfaitement expliqué et paraît tout à fait accessible à chacun : c’est la magie de ce livre, tout est vraiment simple. Il suffisait d’y penser…
Les derniers chapitres abordent l’ère numérique et la cryptographie quantique. Dans ce contexte où tout devient immatériel, où la confidentialité se perd dans le Cloud, des protections se mettent en place pour sécuriser les communications, telles celles de la Blockchain. Il faut protéger les données, surveiller les trafics illégaux, assurer des précautions élémentaires pour éviter tout espionnage. Encore une fois, le lecteur est amené à comprendre les mécanismes mis en jeu et les solutions apportées… et finalement à accepter qu’actuellement les ordinateurs contenant des secrets ne doivent pas être connectés à internet, ni raccordés à des ordinateurs eux-mêmes connectés au réseau !
Ce livre est un vrai parcours initiatique à travers les codes secrets. On suit leurs histoires, leurs évolutions, leurs échecs et leurs victoires. On est constamment invités à y participer. Ce qui est remarquable, c’est à la fois l’attractivité du texte et sa réelle accessibilité pour tous. À chacun de le parcourir selon son idée, livre d’histoire et/ou d’exercices mathématiques.
Oui, il s’agit bien d’une vraie Bible de la cryptologie, c’est à dire LE livre de référence des codes secrets.
Marie-Françoise MERCK
Hervé Lehning : La bible des codes secrets, Éditions Flammarion, 2019, 342 pages, 25,00 €.
SCIENCES – Bâtir de nouveaux mondes, sous la direction de Denis Guthleben
Ce très bel ouvrage, sous couverture cartonnée grand format, est édité à l’occasion du 80ème anniversaire du CNRS, ce que souligne la jaquette « Le Livre Anniversaire du CNRS ». Sa publication a été dirigée par Denis Guthleben, historien, attaché scientifique au Comité pour l’Histoire du CNRS, qui a écrit les 4 textes du chapitre introductif. Le même historien avait publié en 2009, chez un éditeur privé, une excellente – à mon avis – « Histoire du CNRS » de près de 600 pages.
Le présent ouvrage, très bien présenté et imprimé, avec de nombreuses illustrations couleurs, rassemble en 226 pages, un ensemble de 19 chapitres scientifiques, précédés d’un chapitre introductif. Chacun de ces chapitres comporte plusieurs textes spécialisés mais à vocation grand public, écrits par plus de 80 auteurs, universitaires et chercheurs, dont les noms et affiliations figurent en annexe.
Avant d’examiner plus en détails le contenu de cet ouvrage, sur lequel je porte une appréciation d’ensemble très positive, je me dois d’émettre une critique générale, qui est aussi un regret.
Les recherches menées dans les différents laboratoires du CNRS sont rattachées aux 41 Sections Scientifiques du Comité National. Les sections 1 à 30 peuvent être qualifiées, à de rares exceptions près comme l’Économie, comme relevant des sciences dites « dures », par opposition aux sciences « douces » qui relèvent en majorité des sections 31 à 40. Curieusement, cet ouvrage ne s’intéresse presque exclusivement qu’à ces sciences dures, au détriment des « Sciences de l’Homme et la Société », qui ne sont effleurées marginalement que dans certains textes. Les concepteurs de cet ouvrage considèrent-ils que les sciences de l’homme n’ont pas leur place pour « bâtir un nouveau monde » ?
Cela étant dit, examinons de plus près le contenu de cet ouvrage, qui s’ouvre sur une présentation générale, suivie d’un chapitre intitulé « Au commencement La Liberté » contenant trois exposés, le tout sous la plume de D. Guthleben. Le premier texte retrace le processus de création du CNRS, juste avant la Seconde Guerre Mondiale, par Jean Perrin et Jean Zay, le deuxième rappelle la fondation, dès l’année 1930, de l’IBPC (Institut de Biologie Physico-Chimique), dont les brillants résultats scientifiques ont inspiré la ré organisation de la recherche française et le troisième met l’accent sur le parcours militant de l’ethnographe Germaine Tillion qui, elle aussi, avait entrepris ses travaux de recherche dans les années 1930.
Vient ensuite la partie proprement scientifique de l’ouvrage, qui comporte 18 chapitres couvrant un grand nombre de domaines scientifiques et un chapitre sur le CNRS et l’Europe. Je crois intéressant de lister ici les titres de ces chapitres, afin de montrer l’étendue du domaine scientifique parcouru, à la restriction près énoncée ci-dessus :
Au coeur de la MATIERE
Observer jusqu’aux confins de l’UNIVERS
Qu’est-ce que LA VIE ?
Au défi de la TERRE
Mathématique, MATHEMATIQUES
Saisir un Monde en MOUVEMENT(S)
La TRANSITION ENERGETIQUE
L’OCEAN comme laboratoire
Les MEDICAMENTS du laboratoire au patient
Les ATOMES un siècle après Jean Perrin
L’INGENIERIE, une science, un art…- Les NEURONES entrent en scène
L’INFORMATIQUE, une science à part
Les ECONOMISTES à la conquête du vaste monde
L’horizon EUROPEEN du CNRS
Les MATERIAUX, une longue histoire
Une CHIMIE VERTE enracinée dans la société
ENVIRONNEMENT et développement durable
Le CHANGEMENT climatique : étudier, comprendre et agir !
Chacun de ces chapitres comporte plusieurs articles, illustrés en couleurs et signés par des spécialistes du domaine. Il n’est pas question de tenter ici de les résumer tous, ce n’est pas le but d’une note de lecture et de plus ces articles sont déjà concis par eux-mêmes. Il faut d’ailleurs savoir gré aux différents auteurs d’avoir su utiliser un langage non spécialisé, accessible à tous les publics.
Pour résumer, si l’on oublie la réserve concernant les Sciences de l’Homme et de la Société, nous avons là un beau document qui donne un aperçu fidèle d’une partie de l’activité scientifique au sein du CNRS.
Vladimir CAGAN
Collectif sous la direction de Denis Guthleben : SCIENCES. bâtir de nouveaux mondes, CNRS Éditions, 2019, 226 pages (cartonné 25 x 26 cm), 24,00 €.
LE GRAND ATLAS DU CERVEAU, collectif, Institut du Cerveau et de la Moelle épinière
Ce très beau et grand livre résume, à l’aide d’images spectaculaires et d’un texte explicite, l’état actuel des connaissances sur le cerveau. Il s’agit d’une œuvre collective réunissant pas moins de quarante cinq chercheurs, cliniciens et spécialistes en neurosciences ; beaucoup provenant de l’Institut du Cerveau et de la Moelle Épinière (ICM). Avec cet atlas, nous pénétrons dans un monde bellement coloré qui nous révèle l’architecture générale du système nerveux central jusqu’à ses ramifications les plus intimes. Le cerveau est un organe hyper-connecté, constitué de milliards de cellules toutes communicantes entre elles. Les techniques d’étude, morphologiques et/ou fonctionnelles, sont parfaitement décrites et détaillées. De même les modèles animaux utilisant poulets, souris et drosophiles du fait des grandes similarités fonctionnelles entre espèces animales. Ces diverses approches technologiques et d’étude évoluent en permanence pour essayer de décoder au plus près le fonctionnement cérébral. Les acquisitions les plus récentes permettent d’associer des régions spécifiques du cerveau à la plupart des fonctions cognitives (motricité, sensibilité, vision, audition, langage, mémoire…) dans les conditions normales et pathologiques.
Nous apprenons que cet organe, considéré comme le chef d’orchestre de nos fonctions vitales, est capable de plasticité jusqu’après l’adolescence. Les capacités d’apprentissage nous suivent toute la vie grâce aux remaniements synaptiques qui se modifient cependant, de façon variable, au cours du vieillissement ou de certaines pathologies. Des notions comme l’état de conscience nécessitent une approche multidisciplinaire et sont présentées aux confins de la philosophie de la psychologie et des neurosciences. Les questionnements sur les états entre vie et mort ou sur quand décider d’un arrêt des traitements pour un maintien de vie sont aussi abordés et montrent comment la mort est un processus complexe. Ce n’est plus le cœur mais le cerveau qui est au centre de l’individu.
Pour ce qui est de l’avenir, l’informatique et le numérique ont toute leur place pour le traitement des méga-données de l’imagerie. La modélisation par simulation du Blue Brain Project montre déjà la puissance du croisement de ces différentes technologies. L’objectif est de pouvoir intégrer les données actuelles pour comprendre le cheminement complexe vers la cognition.
Comme disent les auteurs, ce panorama sur le cerveau n’est qu’un aperçu de ce qui est connu. Il a vocation à se perfectionner. Après l’étude du génome, le cerveau est LA grande exploration en cours. Au rythme des découvertes, ce remarquable atlas devrait pouvoir complètement se renouveler d’ici une dizaine d’années ! À suivre !
Marie-Françoise MERCK
Collectif sous la direction de Richard Frackowiack, Bassen Hassan, Jean-Claude Lamielle et Stéphane Lehéricy (ICM) : Le grand atlas du cerveau, Éditions Glénat-Le Monde Éditions, 2018, 208 pages (27×38 cm), 39,95 €.
LA VIE MERVEILLEUSE DES ÉLÉMENTS, de Bunpei Yorifuji
L’année 2019 a été désignée comme l’Année internationale du tableau périodique, dit tableau de Mendeleïev, du nom du chimiste russe Dmitri Ivanovitch Mendeleïev qui a organisé, en 1869, le tableau l’ayant rendu célèbre. On peut rappeler, soyons chauvin, que c’est en 1789 que le Français Antoine Lavoisier avait publié son Traité élémentaire de chimie, présenté dans un ordre nouveau et d’après les découvertes modernes dans lequel il précise le concept d’élément chimique, substance simple ne pouvant, avec les techniques de l’époque et en l’absence de la notion de radioactivité, être décomposé en d’autres substances. La position dans le tableau est, de fait, reliée aux propriétés de chacun des éléments et a permis de rechercher certains d’entre eux qui « devaient exister » mais n’avaient pas encore été découverts.
Ce manga fait le pari d’incarner dans des figurines (relativement) faciles à reconnaître, chacun des éléments, à tout le moins leurs points communs, voire leurs principales propriétés. Par exemple, l’identification peut passer par la coupe de cheveux. Plutôt astucieux, mais moins simpliste qu’il n’y paraît au premier regard. La classification proposée en treize catégories + 1 (comportant le « roi » hydrogène, unique bien évidemment, mais aussi les « unums », les éléments connus ou pas encore découverts, mais de toute manière instables, ceux dont le numéro atomique est supérieur à 119). À titre d’exemple, le groupe du carbone, avec son bonnet de jeune diplômé, est sous-titré « compétent, coupe d’intello ») et les actinides, presque toujours articles figurés avec une coupe « robot », puisqu’artificiels, c’est à dire ne se trouvant pas dans la nature mais créés par l’homme. Le visage de la figurine est censé représenter l’atome (dans lequel le nez symbolise le noyau).
Un résumé (sous forme de tableau, en hommage à Mendeleïev ?) permet de se repérer à peu près. Les figurines, une double page élément par élément, nous disent si les corps sont solides, liquides ou gazeux (à température ambiante), et leur corpulence (léger, moyen, lourd) est corrélée à leur masse atomique. Une indication de la période de leur découverte apparaît (de vieux barbu, Antiquité, à nourrisson, 20ème siècle). On trouve un « vestiaire », supposé symboliser leurs des principaux usages, industriel, quotidien, etc. Des particularités sont citées, par exemple le sang des pieuvres, des araignées et des escargots qui contient du cuivre, mais il n’est pas précisé sous quelle forme (en fait, une hémocyanine, sorte d’hémoglobine) et si il est transporteur d’oxygène alors qu’il l’est. Plus rare, le rubidium (Rb), métal alcalin, qui se retrouve dans le verre des tubes cathodiques (le saviez-vous ?), sert à dater les roches et est un constituant de l’horloge atomique utilisée par la télévision japonaise pour indiquer l’heure avec une marge d’erreur de 0,1 s/an.
Pour chaque élément, de petits encarts précisent quelques usages particuliers, par exemple les composés du sodium « de la cuisine à la lessive, l’ami de la maison »… bien que, comme métal, explosif au contact de l’eau. Les lampes à sodium des tunnels routiers sont évoquées, de même que les sels de bain ! Les points de fusion, d’ébullition, la densité… sont spécifiés. Ces quelques exemples, pris au hasard, démontrent la richesse des informations, leur caractère inattendu qui permettrait au lecteur de briller en société (sociologues s’abstenir, mais les historiens y trouveront du grain à moudre).
Un tableau détaché de grand format, le « super tableau périodique des éléments », résume l’ensemble des informations détaillées dans le texte et se lit à l’envers comme tout manga qui se respecte.
Pour des chimistes d’obédience ancienne, l’ensemble est un peu surprenant. Mais certaines trouvailles ‒ les auteurs ont dû s’amuser comme des petits fous ‒ sont de bon aloi et même particulièrement réussies. Dans l’esprit populaire d’ailleurs, les savants sont gentiment qualifiés de fous et/ou aussi bien de dangereux. Les dessins et commentaires n’aideront pas nécessairement à redresser cette opinion, mais ils ne peuvent que donner « un coup de jeune » à l’enseignement de la chimie, de la physico-chimie, etc. En extrayant les informations « pertinentes », ce livre peut ainsi servir d’instrument pédagogique pour des étudiants peu motivés a priori par la chimie… pour peu qu’ils aient le sens de l’humour.
En conclusion, sauf à être effarouché par l’inattendu, voire le non-conventionnel, ce livre peut être une bonne introduction et même un bon accompagnement à la fois dans l’enseignement et aussi, pourquoi pas, dans les TP, les exercices, et même pour les chercheurs, en particulier pour se rafraîchir la mémoire sans consulter Wikipédia ou plus anciennement le rébarbatif Beilstein.
Rose Agnès JACQUESY
Bunpei Yorifuji : La vie merveilleuse des éléments, Éditions B42, 2018, 216 pages, 24,00 €.
LE SYSTÈME PÉRIODIQUE, de Primo Levi
L’année 2019 a célébré, entre autres évènements, le 150ème anniversaire du tableau de Mendeleïev et il faut, à ce propos, recommander le petit livre de Primo Levi (Turin, 1919-1987) intitulé Le Système Périodique [Il Sistema Periodico].
Classé en 2006 best book en science par la vénérable Royal Institution of Great Britain mais moins connu par le grand public que Si c’est un Homme [Si questo è Uomo], oeuvre majeure qui l’a fait – difficilement au départ – percer dans le monde des lettres, ce texte en possède les mêmes qualités littéraires et humaines. Il est tout en retenue malgré les évènements difficiles et surtout tragiques que l’écrivain a dû affronter, au premier chef la trahison d’un infiltré fasciste dans son petit groupe de résistants inexpérimentés ayant entraîné sa déportation à Auschwitz. Paradoxalement, sa judéité lui a évité d’être fusillé sur le champ comme résistant et sa compétence d’ingénieur chimiste, exploitée pour la fabrication du caoutchouc synthétique Buna par la firme pro-nazie IG Farben, lui a sauvé la vie dans le camp, sans pour autant en atténuer la cruauté.
Chacun des 21 chapitres de ce texte porte le nom d’un élément chimique, repéré dans la figure ci-jointe. Il semble n’y avoir aucune logique, ni sémantique, ni physico-chimique dans cette sélection. En réalité, ce qui établit l’ordre de lecture, c’est l’enchaînement des étapes professionnelles, politiques ou personnelles que l’auteur a traversées, que ce soit par choix, circonstances ou contraintes. La place prise par un élément est donc déterminée par ces facteurs et non par des critères chimiques. D’ailleurs, pour certains éléments, ceux-ci ne sont même pas évoqués et pour les autres, P. Levi se contente de décrire brièvement quelques données scientifiques et techniques : découverte et étymologie, propriétés, processus d’extraction et de purification, obtention de produits dérivés, développement industriel, etc. Les chimistes de maintenant seront probablement intéressés par ce survol d’un moment de l’histoire des techniques et de leurs applications. Personnellement, mes études en chimie minérale ayant été filtrées par le temps, j’y ai trouvé ou retrouvé nombre de choses intéressantes, même si elles ne sont qu’esquissées.
L’essentiel n’est cependant pas là, car les parties scientifiques n’occupent qu’une place réduite dans l’ensemble même si elles en forment l’ossature. L’essentiel est pour moi dans le message humaniste que porte Primo Levi, message valorisé par une qualité d’écriture que l’on sent préservée dans la traduction d’André Maugé. Ceux qui liront ou reliront ce récit sauront en apprécier le fond et la forme.
Yaroslav de KOUCHKOVSKY
Primo Levi : Le Système Périodique, éd. Albin Michel (Livre de Poche) 1987 [1975 en Italie], 252 pages, 7,20 €.
L’INVENTION DE LA SCIENCE, de Guillaume Carnino
Lorsque j’ai proposé d’écrire une « note de lecture » sur cet ouvrage que je venais de lire, je ne réalisais pas la difficulté de résumer et surtout de donner l’envie de lire « L’invention de la Science », somme de 269 pages, 4 parties en 9 chapitres et 829 notes ou références. L’auteur, Guillaume Carnino, qui a écrit cet ouvrage en 2015, enseigne l’histoire des sciences et des techniques à l’Université de Compiègne.
Dans l’Introduction, il décrit lui-même le but de son ouvrage : devant l’opinion couramment admise que « la science produirait le vrai grâce à sa méthode infaillible, fondée sur l’observation des faits…pourtant – et c’est la thèse de cet ouvrage – nombre d’opinions relatives à la science relèvent de la croyance : face à un phénomène inexpliqué, penser que la science décrira un jour les processus en jeu relève d’un acte de foi, qui s’enracine dans une profondeur historique insoupçonnée ».
Même si l’on peut ne pas être entièrement d’accord avec cette affirmation péremptoire, force est de constater que l’ensemble du livre offre une histoire passionnante de l’évolution de ce que l’on appelle aujourd’hui La Science, principalement en France.
Au lieu de s’en tenir pour chaque époque à des considérations générales, G. Carnino appuie son récit sur des exemples particuliers, soit de « savants » soit de polémiques scientifiques.
Les quatre parties de l’ouvrage – 1) L’avènement de la science, 2) La science, nouvelle autorité publique, 3) La science et l’industrie, 4) Terminer la Révolution grâce à la science – sont divisées en chapitres, au nombre de neuf.
Avant d’examiner succinctement le sujet des différentes parties, posons le problème du temps historique. Dans un graphique, tiré du catalogue général de la BNF représentant l’occurrence du terme science dans les titres des publications imprimées de 1740 à 1913, l’auteur constate que cette occurrence est stable et inférieure à 10 jusqu’aux années 1810, date à partir de laquelle elle grimpe régulièrement pour atteindre 120 en 1913. On retrouve le même profil ascendant de graphique si l’on s’intéresse au terme scientifique. Cela montre bien combien la « science » s’impose graduellement à partir des années 1800.
La première partie de l’ouvrage, « L’avènement de la science », comporte un bref chapitre sur « La science anachronique » suivi par un chapitre intitulé « Raconter Galilée au 19ème siècle ». L’auteur y décrit comment, au fil de ces années, Galilée a été peu à peu considéré comme « le fondateur de la science ». Mais il rappelle aussi toutes les polémiques qui se sont développées à cette époque, notamment au sujet de l’interprétation des archives de son procès, de la fameuse phrase – E pur si muove ! – et de la réalité des tortures.
La deuxième partie du livre s’intitule « La science, nouvelle autorité publique » et comporte 3 chapitres.
– Le premier, « Science et religion : la séparation constitutive », relate les principales polémiques entre les anticléricaux et les tenants de l’Église catholique sur différents sujets scientifiques. L’une d’entre elles concerne l’ouvrage de Darwin « The origin of species », dont paraît en 1860 la première traduction française, avec un titre loin de la traduction littérale et une longue préface très anticléricale, désavouée d’ailleurs par Darwin lui-même.
Un autre sujet de polémique est lié « au débat sur l’antiquité de l’homme », qui oppose les théories de Georges Cuvier – « Chronologie biblique et apparition récente de l’homme sur terre » – à celles d’un certain nombre d’archéologues qui s’appuient sur de récentes découvertes géologiques de restes fossiles humains pour remettre en cause les idées de Cuvier. Après la découverte d’autres fossiles humains pré historiques, ce n’est qu’en 1865 « que les voix opposées à l’antiquité de l’homme se tarissent ».
Une troisième polémique survient avec la controverse bien connue Pasteur-Pouchet sur la génération spontanée, qui aboutit dans le public à un récit irréaliste opposant un Pasteur rationaliste à un Pouchet spiritualiste. Pasteur, bien que vainqueur dans cette controverse, la clôt par cette déclaration publique « …il est temps que la science, la vraie méthode, reprenne ses droits et les exerce. Il n’y a ici ni religion, ni philosophie, ni athéisme, ni matérialisme, ni spiritualisme qui tienne. Je pourrais même ajouter : comme savant, peu m’importe ».
Enfin survient en 1863 la polémique virulente provoquée par la publication de « La vie de Jésus » d’Ernest Renan, « épisode fondateur qui achève de cristalliser l’opposition du catholicisme face à la science ». En effet, dans cet ouvrage, Renan, récemment élu professeur au Collège de France, tente de justifier scientifiquement l’existence historique du Christ. Le scandale prend une telle ampleur que Renan est chassé du Collège de France en 1864, malgré le succès énorme de l’ouvrage. Il n’est réintégré au Collège qu’en 1870, les autorités de l’époque « voyant en lui, malgré sa profonde sensibilité religieuse, un thuriféraire du rationalisme scientifique ». Élu ensuite à l’Académie Française, devenu Administrateur du Collège de France, il bénéficie d’obsèques quasi nationales à son décès en 1892.
Dans les dernières pages de ce chapitre l’auteur relate de nombreuses autres batailles intellectuelles qui eurent lieu à cette époque entre différentes personnalités religieuses et laïques, en faisant remarquer l’intérêt croissant que portait une partie importante de la population à ces questions à caractère scientifique. Il en conclut que c’est parce que la science s’était vulgarisée que l’antagonisme entre science et religion avait pu se reconfigurer. Cela l’amène au chapitre suivant « Vulgariser et populariser la science ». En une quarantaine de page, l’auteur nous brosse une description très complète de ce que fût la vulgarisation scientifique en France à partir des années 1820 environ, date à laquelle parait l’une premières publications à visée « populaire », La librairie encyclopédique Roret. À partir de cette époque apparaissent un grand nombre de revues scientifiques de niveau variable, dont par exemple en 1835 les Compte Rendus de l’Académie des Sciences, sous l’impulsion d’Arago, qui donnera même des cours d’astronomie populaire. Parallèlement, des écrivains se lancent dans la littérature scientifique, l’écrivain le plus emblématique étant Jules Verne, considéré comme le père du roman scientifique.
En 1855 a lieu la première Exposition universelle parisienne, pour contrebalancer le succès de l’Exposition de Londres de 1851, qui se révéla un énorme succès. Dans cette exposition, ce sont les parties scientifiques qui rassemblent le plus de visiteurs. À la fin du siècle, en 1900, la cinquième Exposition universelle – 58 pays, 51 millions de visiteurs – est à nouveau un énorme succès, où les applications de l’électricité sont omniprésentes. En 1867 le pouvoir politique crée une Mission pédagogique afin « d’infuser l’idéologie industrialiste dans l’ensemble du corps social », les instituteurs devant en être les courroies de transmission.
Dans le chapitre suivant de cette partie, l’auteur aborde le sujet « L’Université : la science pure pour la nation ». Il résume la réorganisation de l’Université, qui commence dans les années 1800. Sans entrer dans les détails de sa description, intéressons-nous à trois graphes caractéristiques qui montrent que, en un siècle (1810-1910), le nombre d’enseignants en facultés de sciences passe d’une douzaine à 270, le nombre de licenciés en sciences passe d’une dizaine à 250 et le nombre de docteurs en sciences passe de 0 à 1 300 ! Parallèlement la notion de « science pure » prend corps, défendue notamment par Pasteur qui la considère comme « une et indivisible », refusant de distinguer science théorique et science appliquée.
Dans la troisième partie de son livre, « La science et l’industrie », l’auteur examine la façon dont la science dite « pure » va se mettre au service de l’industrie et de l’économie, notamment sous l’impulsion de Louis Pasteur. Dans tout le corps de cette partie s’insère par morceaux un intéressant résumé de la vie et de la carrière de Pasteur, sans oublier son rôle dans la réforme de certains enseignements afin de les rendre plus adaptables au service des applications. L’auteur décrit ensuite, souvent de façon très détaillée, quelques réussites de l’influence de la science sur les applications industrielles et donc commerciales, en particulier certaines dans lesquelles Pasteur joua un rôle majeur. Par exemple le problème de la fermentation de l’alcool de betterave et des vins, la maladie des vers à soie, évidemment la question très polémique des vaccins, l’application de la science à l’industrie de la brasserie ou l’invention de la pisciculture industrielle.
En annonce de la quatrième partie de son ouvrage, « Terminer la Révolution grâce à la science », l’auteur écrit « La science et la technologie, telles que nous les entendons aujourd’hui, apparaissent quand les sociétés s’organisent hiérarchiquement afin de concentrer la production technique entre les mains des savants, des ingénieurs et des entrepreneurs. Il convient donc d’étudier maintenant la question des rapports de force politiques qui ont présidé à leur établissement ». Cette dernière partie, qui comporte deux chapitres, est de loin la plus difficile à résumer et à analyser.
Au cours du premier chapitre, « Résistance au progrès et religion de la science », l’auteur examine comment, dès les années 1700, prend lentement corps l’idée que le « progrès » est directement lié à la « science ». Le terme « innover » passe progressivement d’une connotation péjorative (« dangereuse et peu souhaitable » suivant le Dictionnaire universel de Furetière) à souhaitable et nécessaire (« ne rien changer, ne rien innover, sont des maximes ou de la stupide ignorance… » selon Lachâtre en 1870). On distingue peu à peu « invention » de « découverte », deux termes jusques là presque synonymes. Littré explique : «on dit la découverte de l’Amérique et non l’invention », par opposition à l’invention de l’imprimerie. L’Inventeur est mis à l’honneur, une abondante littérature se diffuse sur le « martyre de l’inventeur », l’affaire du métier à tisser Jacquard et des canuts de Lyon servant d’exemple emblématique. La « science » peut devenir le paravent indispensable aux dirigeants pour imposer à la population des décisions qui peuvent impacter durement leurs conditions de vie, sous prétexte que c’est elle qui détient la seule vérité, à l’instar d’une religion. L’auteur décrit d’ailleurs en détails l’affaire de l’épandage des égouts de Paris à Gennevilliers qui se traduira par un important scandale sanitaire, solution imposée par des ingénieurs et certains scientifiques au nom de la supériorité de la science.
Dans le dernier chapitre, qui termine l’ouvrage, l’auteur s’intéresse à l’émergence du « positivisme », que promeuvent notamment Émile Littré et Jules Ferry à partir de la pensée d’Auguste Comte (disparu en 1857), afin de « trouver…un dispositif moral et spirituel sur lequel arrimer le nouveau monde en gestation, dont le principe n’est plus religieux mais industriel ». La science entre donc dans le domaine de la politique. Le « nouvel ordre social est donc industriel et scientifique à la fois ». Les gouvernements en place vont tout faire pour utiliser la science pour promouvoir la révolution industrielle mais aussi l’émergence des « marchés ».
Par ailleurs, mélangés à la description de certains évènements politiques qui entourent le développement du positivisme, on lit dans ce chapitre de très intéressants aperçus sur les biographies de Littré et Ferry. L’influence de Ferry sur l’enseignement public est décisive : dès 1870 et ensuite, il se révèle un fervent partisan de « l’École égalitaire », y compris entre hommes et femmes, mais son discours est bien ambigu : « Il est nécessaire que le riche paye l’enseignement du pauvre, et c’est par là que la propriété se légitime, et c’est ainsi que se marquera ce degré d’avancement moral et de civilisation qui peu à peu substitue au droit du plus fort, ou du plus riche, le devoir du plus fort ! ». La pensée des gouvernements de l’époque est que la science sera en mesure d’apaiser les conflits sociaux et que dès l’enseignement primaire on doit enseigner les lois de la nature et la loi morale. En fait, en lisant les extraits de différents discours de Ferry et aussi d’autres personnalités, on s’aperçoit qu’ils oeuvrent dans deux directions complémentaires : la première est la pacification sociale pour que l’ordre établi soit respecté, la deuxième – notamment en insistant sur l’éducation des filles – est pour affaiblir l’influence de la religion catholique. Jules Ferry : « Il faut que la femme appartienne à la science, ou qu’elle appartienne à l’Église ».
Pour conclure, je me permets d’emprunter à l’auteur, encore une fois, quelques lignes de sa propre conclusion : « Pourtant, excepté certains savants et industriels en mesure de jouer sur les deux tableaux – la politique profane et la planification technologique –, nul ne peut plus intervenir directement dans les affaires de la science sans avoir au préalable été intronisé en son sein…l’enjeu épistémologique majeur de toutes les disciplines savantes consiste désormais à prouver qu’elle sont « scientifiques », sous peine d’être exclues du champ du savoir certain et indubitable : si la philosophie (ou l’anthropologie, ou la sociologie, etc…) n’est pas une science, alors tout un chacun peut se permettre d’avoir une opinion sur le sujet ; si par contre la biologie (ou l’astrophysique, ou l’économie, etc…) se voit auréolée du prestige de la science, alors ses jugements sont l’apanage des seuls élus qui la pratiquent et ils deviennent, au propre et au figuré, parole d’Évangile ».
Vladimir CAGAN
Guillaume Carnino : L’invention de la Science – La nouvelle religion de l’âge industriel, éditions Le Seuil, Paris 2015, 336 pages, 24 €
LES DESSOUS DE LA CACOPHONIE CLIMATIQUE, de Sylvestre Huet
Sylvestre Huet, auteur de ce court ouvrage – 142 pages, dont 18 d’annexes – écrit en 2015 juste avant la COP 21, était journaliste à Libération jusqu’en janvier 2016, spécialisé dans l’information scientifique. Durant plus de trente ans, il a travaillé sur les dossiers climatiques, a rédigé un grand nombre d’articles sur le sujet et publié plusieurs livres, dont une réfutation des thèses anti-réchauffement de Claude Allègre qui a fait beaucoup fait parler d’elle. Bien que datant d’il y a cinq ans, je pense que ce livre n’a rien perdu de son intérêt car il résume bien, sans entrer dans trop de détails, les questions contradictoires qui se posent face au changement climatique.
Comme écrit dans la présentation de l’ouvrage, l’auteur «propose ici un antidote aux simplifications abusives qui polluent ce débat décisif pour l’avenir de nos sociétés…».
Après un court préambule où l’auteur revendique son objectif : « aller à l’essentiel et taper où cela fait mal. Je n’ai pas cherché le consensus, le propos mou » ; « du dossier scientifique, j’ai tenté de ne retenir que le nécessaire » ; « nous nous focaliserons sur le tronc central, celui des énergies fossiles » et après une brève histoire du dossier climatique, il examine les éléments de cinq chapitres principaux :
- Pourquoi l’urgence climatique n’existe pas… et pourquoi c’est un problème majeur.
- Que doit-on savoir des sciences du climat ?
- Peut-on faire confiance au GIEC ?
- Que faire ?
- Quelle gouvernance pour le climat ?
Le chapitre 1, dont le titre ambivalent peut interroger le lecteur, me paraît fondamental. L’auteur met l’accent sur la relativité de la notion d’urgence, si l’on tient compte de l’impact social qu’aura nécessairement l’application des politiques en faveur du climat mais aussi de la lenteur avec laquelle ces politiques vont produire des résultats, compte tenu de l’inertie propre aux phénomènes climatiques.
D’autre part, il insiste sur le fait que les problèmes se posent différemment entre les pays dits « en développement » et les pays les plus riches. Un habitant des « USA émet 17.6 tonnes de CO2 par an, contre 0.1 tonne pour un Ethiopien » ! Évidemment, l’urgence climatique n’est pas perçue de la même façon et les priorités ne sont pas les mêmes dans ces deux pays. Même dans les pays dits « riches » – l’exemple de la situation actuelle en France le montre bien – la question « fin du monde ou fin du mois » est bien ressentie comme importante par une partie croissante de la population.
Les chapitres 2 et 3 sont très intéressants, car ils nous fournissent d’une part un résumé compréhensible des phénomènes climatiques généraux et d’autre part une description détaillée du fonctionnement du GIEC [Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat – Intergovernmental Panel on Climate Change, IPCC]. L’auteur ne cache pas son parti pris en faveur de ce mode de fonctionnement et des positions défendues par le GIEC face à ses détracteurs, mais son propos est clair et argumenté.
Le chapitre 4 éveille la curiosité du lecteur, tant il est vrai que bien des gens aimeraient trouver des réponses claires et réalisables. L’auteur reconnaît qu’un seul individu ne peut avoir la prétention de fournir ces réponses. Il esquisse cependant des grandes lignes qui lui paraissent nécessaires, en partant du principe qu’il faut « agir en pensant le long terme ». Quelques points clés importants doivent être considérés comme stratégiques, par exemple les villes et le mode d’urbanisation, les bâtiments (pour diminuer la consommation énergétique), les transports terrestres, notamment pour concurrencer l’avion par le train, les circuits courts. Sur un point particulier, l’auteur soutient une position plutôt à contre-courant en affirmant que la focalisation sur la diminution de consommation unitaire des « engins » à énergie fossile est une fausse bonne solution ; elle est certes utile, mais les économistes ont observé qu’elle favorise le maintien de l’utilisation de ces engins et retarde donc la prise de décisions majeures.
Enfin il faut aborder un problème très politique : « appliquer l’indispensable justice climatique…justice entre pays, entre populations de revenus différents…justice pour hier… justice pour aujourd’hui… justice pour demain ». Ce sous-chapitre mérite une lecture attentive, car il pointe du doigt les inégalités entre pays mais aussi les différences dans les évolutions passées mais aussi futures prévisibles.
Par ailleurs, dans les sous-chapitres suivants, l’auteur fait le tour des différentes solutions pour produire de l’énergie non carbonée, surtout sous la forme d’électricité car c’est sous cette forme que l’énergie est principalement utilisée si l’on excepte le chauffage non électrique. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas optimiste. Notamment, sur le plan mondial, il semble illusoire de compter sur l’épuisement des stocks de charbon ou de pétrole pour inciter à la réduction de l’utilisation des matières fossiles. En effet sur le plan mondial on construit actuellement dans certains pays un nombre croissant de centrales à charbon ou au gaz. « Les réserves de charbon permettent à elles seules de réaliser le scénario le plus noir des économistes…un bouleversement climatique marqué par une augmentation de la température moyenne de la Terre de 6°C ». Autrement dit, la pénurie de matières fossiles arrivera après les effets catastrophiques du changement climatique !
Pour l’ensemble du monde, les énergies renouvelables actuellement au point ne semblent pas pouvoir permettre de remplacer quantitativement les énergies fossiles, même si c’est le cas dans un nombre limité de pays pour des raisons très spécifiques. Et ce d’autant plus que la consommation d’énergie par habitant dans certains pays très peuplés, actuellement très faible, va forcément augmenter dans les décennies qui viennent.
Devant ce constat, la position du groupe 3 du GIEC – celui qui est en charge des politiques de lutte contre les changements climatiques – est de « faire feu de tout bois », c’est-à-dire d’utiliser toutes les voies possibles pour infléchir les émissions mondiales d’ici 2020 (le livre a été écrit en 2015) et les diminuer par deux d’ici 2050 : « sobriété énergétique, diminution des consommations unitaires, mobilisation de toutes les technologies décarbonées disponibles ». Ce qui signifie par exemple que le GIEC considère que l’on ne pourra pas, au niveau mondial, se passer entièrement d’énergie électronucléaire.
Dans le chapitre 5 l’auteur aborde la question de la « gouvernance » du dossier climatique. Cette gouvernance s’appuie sur les relations diplomatiques entre pays ainsi que sur la Convention de l’ONU, sans oublier tous les autres acteurs non gouvernementaux. Mais, selon l’auteur, le premier problème général à résoudre sera de réduire les inégalités sociales et de faire le point sur la « dette climatique » entre pays fortement pollueurs et ceux qui polluent peu… En même temps il faudrait obligatoirement se préoccuper des conséquences sociales et économiques de certaines décisions qui sont indispensables à la lutte contre le réchauffement climatique.
Par ailleurs, les différentes conventions COP [Conference Of the Parties, Conférence des parties de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques] – la 21ème édition s’est tenue peu après la publication de ce livre, la 24ème se tient en Pologne à la date de l’écriture de ce texte – ne semblent pas être des succès si l’on examine les résultats réels par rapport aux recommandations de ces conférences, recommandations non contraignantes et en général revues à la baisse sous la pression des états les plus polluants. L’auteur conclut qu’une coordination mondiale, tenant compte du fait que les effets du réchauffement ne seront pas les mêmes pour tous les pays, s’avère indispensable. En 2015, il considère que « l’humanité n’est pas en mesure, aujourd’hui, de tracer définitivement le chemin et de déterminer les moyens susceptibles de maîtriser ce défi collectif ».
Les choses ont-elles vraiment changées cinq années plus tard ?
Vladimir CAGAN
Sylvestre Huet : Les dessous de la cacophonie climatique, éditions La Ville Brûle, Paris 2015, 10 €
GÉOPOLITIQUE DU MOUSTIQUE, d’Erik Orsenna et Isabelle Saint Aubin
Après le coton, l’eau et le papier, Erik Orsenna, avec la collaboration d’Isabelle de Saint Aubin, nous raconte la mondialisation à travers une histoire de moustiques dans son livre Géopolitique du moustique.
Les moustiques viennent de la nuit des temps (250 millions d’années), mais leur durée de vie est relativement courte (30 jours en moyenne). Comme ils sont nombreux, ils peuvent être dangereux : plus de 700 000 morts chaque année liés à différentes maladies à transmission vectorielle. La plus meurtrière est le paludisme (la malaria pour les anglo-saxons), la plupart de ses victimes étant des enfants de moins de 5ans. Le moustique étant le vecteur de transmission le plus répandu, d’autres maladies ont émergées comme le chickungunya, la dengue, la fièvre de la vallée du Rift, la fièvre jaune et plus récemment, le zika.
Avec beaucoup d’humour et de précision, les auteurs dévoilent la vie aquatique des larves suivie de leur métamorphose en nymphes puis en insectes adultes (imago).
Ils décrivent en détail, tel un entomologiste, leur cycle de reproduction et leur capacité à gâcher nos nuits par leurs vrombissements qui annoncent leur intention de faire un bon repas sanguin pour leur survie. Dans cette transmission, seules les femelles sont nuisibles car lors du repas sanguin, elles absorbent les agents pathogènes si la personne qu’elles piquent est déjà contaminée, par exemple par le Plasmodium, agent du paludisme chez l’homme. Elles le retransmettront lors d’un nouveau repas sanguin à un autre individu. Ainsi les parasites acquièrent les meilleures chances de développement et donc de transmission de la maladie. Ce qu‘Erik Orsenna appelle le ménage à trois !
On apprend que c’est grâce aux travaux de Carlos Finlay, qui a étudié la fièvre jaune et sa transmission par le moustique Aedes, que le canal de Panama a pu être achevé. La guerre aux moustiques était déclarée en supprimant leurs gîtes par le comblement des marais, l’assèchement de la moindre étendue d’eau et l’usage des moustiquaires. C’est Laveran qui apportera une contribution décisive à la connaissance du paludisme par sa découverte du parasite Plasmodium falciparum, responsable des fièvres palustres mortelles.
Éric Orsenna et Isabelle de Saint Aubin rendent hommage à François Rodhain, professeur d’entomologie médicale, Didier Fontenille, directeur de l’institut Pasteur de Phnom Penh, Fréderic Simard, responsable du laboratoire MEGEVEC (maladies infectieuses, génétique, écologie, vecteurs, évolution et contrôle), Anna Bella Failloux, directrice du laboratoire Arbovirus insectes vecteurs. Les rapports de l’homme à son environnement sont décrits avec beaucoup de pertinence, en citant plusieurs exemples, comme l’apparition de la fièvre hémorragique en Corée et en Argentine, dans ces années 1950 où l’on développe de façon intensive la culture du riz et du maïs et où surviennent des rongeurs porteurs du virus. Ces derniers ne présentaient aucun risque pour l’homme tant qu’ils étaient peu nombreux, mais la progression des rendements, avec l’emploi massif d’herbicides, etc. a attiré les rongeurs pour la plupart porteurs sains du redoutable virus. Tout a changé avec l’efficacité de la nouvelle agriculture. L’utilisation des moissonneuses-batteuses, en remplaçant le travail manuel, a favorisé la projection du corps de rongeurs broyés ainsi que de leurs déjections particulièrement infectées.
Le livre nous transporte d’un coin à l’autre de la planète en nous contant une histoire de mondialisation qui commence par l’histoire de la forêt profonde où singes et moustiques se côtoient. Ils nous racontent la transmission du virus d’un singe infecté à une femelle moustique et du moustique à un autre singe puis à l’humain, par migration de la « dame moustique » dans les villes. Ainsi se sont répandus un peu partout les virus de la dengue, du chikungunya, du zika et de la fièvre jaune. En continuant le tour du monde, on nous amène de la Guyane au Cambodge puis au Sénégal, en Ouganda et enfin en France : la conclusion est que les moustiques sont partout. Ils franchissent toutes les distances, s’adaptent à toutes les températures et envahissent ainsi toute la planète, même aux pôles. Les hommes ont commencé à beaucoup voyager, notre mondialisation s’est mise en marche et celle des moustiques n’a pas tardé à l’accompagner.
Le réchauffement de la planète convient très bien à la prolifération des moustiques et aussi à la propagation des virus tels que zika, en Inde, en Chine et en France, depuis 2015. Le transporteur de ces virus est l’Aedes qui est présent à chaque évolution de notre planète. Si l’espèce humaine se mondialise, l’Aedes aussi, car il peut survivre en bateau comme en avion. De plus, les activités humaines réchauffent le climat et les moustiques originaires des tropiques aiment chaleur et humidité : ils en seront d’autant plus à l’aise, d’où un besoin urgent de se protéger de toutes les sortes de moustiques mondialisés transmettant de plus en plus de maladies.
Enfin l’ouvrage rapporte en plusieurs étapes les différentes voies permettant de soigner et de vacciner les patients ainsi que d’éradiquer ces espèces nuisibles.
Éric Orsenna, écrivain et diplomate, nous fait partager ses connaissances sur l’origine des maladies émergentes avec enthousiasme et esprit critique. Il est membre de l’Académie française et il doit ses connaissances scientifiques essentiellement au Dr. Isabelle de Saint Aubin.
Ginette JAURÉGUIBERRY
Erik Orsenna et Isabelle de Saint Aubin : Géopolitique du moustique, Petit précis de mondialisation IV, éditions La Loupe (Fayard) 2017, 278 pages, 20, 60 €
OBJETS MATHÉMATIQUES, collectif
L’Institut Henri Poincaré et le CNRS viennent d’éditer un très beau livre intitulé « Objets mathématiques ». Il contient une préface aux non moins belles qualités littéraires et 18 chapitres assez courts. Je ne pourrai ici en dire un mot fort bref que de quelques-uns.
Celui d’abord par F. Brechenmacher qui traite de l’histoire de ces objets, des raisons pour lesquels ils furent conçus, et de leur emploi. Je retiens non seulement qu’ils ont montré une utilité pédagogique, mais aussi qu’ils ont contribué au développement des mathématiques, accessoirement à la création artistique.
Les deux articles de F. Apéry témoignent de sa parfaite maîtrise de la géométrie algébrique et de la topologie, sous-jacentes aux objets qu’il décrit dans le détail avec la plus grande clarté.
L’univers mathématique résulte d’une codification d’observations. Observations des objets du monde mathématique lui-même, observations des objets des autres règnes, à commencer par celui de la physique, et en tout premier lieu de l’optique.
C’est à ce titre que l’article de D. Rowe est entre autres intéressant, il rappelle que le développement de la géométrie algébrique vient en très grande partie de l’observation optique (propriétés focales des courbes et surfaces, fronts d’ondes de Fresnel).
Dans le même esprit se situe l’article de J.‑M. Chomaz, fasciné par l’univers des bulles et des tourbillons, encore pratiquement inexploités par la physique de l’infiniment petit.
Les articles en fin d’ouvrage de E. Sebline, A. Strauss, E. Migirdicyan, A. Rewakowicz et R. Zarka, sont proprement consacrés aux œuvres d’art modernes issues des mathématiques.
Le premier d’entre eux porte sur l’œuvre de Man Ray. Il fait voir la distinction entre un mathématicien et un véritable artiste. Le mathématicien s’en tient à la forme pure donnée par les contraintes mathématiques ; il reste séduit par la rationalité des objets, éprouve quelque difficulté à s’en évader, à aller au-delà. L’artiste, par les jeux des couleurs, par les déformations qu’il opère sur les formes, fait apparaitre des produits de l’imagination créatrice, introduit les subtilités de la fantaisie ou de la souffrance, l’affect. Son œuvre est pénétrante.
Claude BRUTER (in ESMA Newsletter, vol. 9, February 2018, http://www.math-art.eu/Newsletters/EsmaNewsletter2018-02.pdf)
Institut Henri Poincaré : Objets Mathématiques (préface de Cédric Villani et Jean-Philippe Uzan), CNRS Éditions 2017, 192 pages, 25 €
LE CERVEAU AU MICROSCOPE, collectif
Plus parlant est le sous-titre de l’ouvrage : La neuroanatomie française aux XIXème et XXème siècles. Il s’agit d’un ouvrage collectif publié sous la direction de Jean-Gaël Barbara, docteur en neurosciences et en histoire des sciences, et François Clarac, directeur de recherche émérite au CNRS.
Dans l’introduction, ces deux auteurs précisent : « on n’abordera ici que les parcours historiques les plus significatifs de l’école française d’anatomie microscopique du cerveau… ». Ils vont ainsi passer en revue, l’apport de plus d’une quinzaine de scientifiques français depuis le milieu du 19ème siècle jusqu’à la fin du 20ème siècle.
À partir d’histoires de l’école française d’anatomie microscopique, ce livre démontre la volonté de croiser anatomie et physiologie tant au Collège de France qu’à la Salpêtrière et dans les universités. Il analyse cette caractéristique originale de la neuroanatomie française qui réside dans l’interdisciplinarité neuroanatomie –neurophysiologie, garante d’une meilleure compréhension du cerveau telle qu’elle se met en place progressivement pendant la période étudiée.
Au plan de la neuroanatomie, le 19ème siècle est dominé par Jean-Martin Charcot (1825-1893). Sur la toile « la leçon de Charcot » du peintre André Brouillet (1857-1914), exposée au musée d’histoire de la Médecine à Paris (qui n’est pas incluse dans le livre en référence mais que nous nous permettons de reproduire ci-dessous), figurent la plupart des collaborateurs de Charcot cités dans « Le cerveau au microscope ». Dans ce tableau on trouve, entre autres, Albert Gombault, l’« histologiste de Charcot ». Charcot et Joffroy (1844-1908) avaient décrit minutieusement, en 1869, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) mais c’est Gombault qui parachèvera ces travaux et qui apportera les informations indispensables ayant permis de caractériser totalement cette pathologie. Il publiera, en 1902, en collaboration avec son ancien interne, Philippe, le premier Traité de Neuropathologie.
Une leçon de clinique à la Salpêtrière : photo du tableau d’André Brouillet, Paris 1887 ((actuellement à la Faculté de Médecine, Université Paris 5). [NDLR : L’attribution des noms varie avec les sources ; il semble que Ch. Féré et G. de la Tourette soient ici intervertis]
Au 20ème siècle les recherches sur l’anatomie et la physiologie du cerveau se diversifient et s’élargissent avec les noms de :
Georges Marinesco (1863-1938). Il publie en 1909 sa monographie monumentale, « La cellule nerveuse ». Il se forme à l’ultramicroscopie et à la cinématographie médicale. En fin de carrière, ses projets prendront des directions multiples et il étudiera, en particulier, le rôle des oxydases dans la sénescence ;
Jean Nageotte (1866-1948). Il travaille surtout sur la myéline qu’il considère comme un édifice colloïdal cristallin établissant des relations morphologiques et fonctionnelles avec le protoplasme nerveux ;
René Couteaux (1909-1999). Avec l’histochimie des cholinestérases, il définit une zone d’activités pré- synaptique et une zone post-synaptique différenciée. Grâce au développement de la microscopie électronique, il publiera, en 1971, une étude restée célèbre en démontrant un alignement des structures pré- synaptiques sur les replis post-synaptiques ;
Jacques Taxi (1922- 2017), collaborateur de René Couteaux. Plusieurs de ses nombreux travaux font date dans l’histoire des recherches de neuro-anatomie comme l’étude sur les cellules interstitielles ;
Shigeru Tsuji (1936-2008) qui poursuivra pendant des années l’étude de la transmission nerveuse cholinergique, domaine qu’il ne quittera plus ;
Constantino Sotelo (1940 ?), intègre l’équipe de René Couteaux pour s’initier dès 1964 à la microscopie électronique. De 1964 à 2004, il est chercheur au CNRS et directeur de l’unité INSERM 106 à la Salpêtrière. Il s’est surtout intéressé, entre autres, au couplage électro-tonique entre neurones chez les mammifères. Ses élèves poursuivent actuellement ces nouvelles voies.
Les travaux de ces chercheurs, et ceux de bien d’autres de leurs collègues qui témoignent de la vitalité de la recherche en neuroanatomie, font l’objet de développements approfondis.
Le livre se clôt sur un domaine de la neuro-anatomie qui, à ses débuts, n’a pas été marqué par l’approche microscopique mais qui fit ultérieurement une utilisation importante de l’histologie et de la cytoarchitectomie. Les travaux de deux professeurs honoraires au Muséum national d’histoire naturelle, illustrent ce propos : Michel Thireau aborde la neuroanatomie par la question du sens à donner aux volumes cérébraux au cours de la période 1800-1950
Jacques Repérant, à partir de différentes approches, a conduit à une approche interdisciplinaire dédiée à l’évolution morpho-fonctionnelle du système visuel des vertébrés.
En conclusion, l’interdisciplinarité est un maître mot qui revient comme un leitmotiv tout au long de cet ouvrage et qui caractérise les champs de la neuroscience française non seulement pendant le 19ème et le 20ème siècle mais également à partir de l’après-guerre jusqu’à présent. Ce volume entend ainsi démontrer qu’à partir d’une tradition française d’histologie du cerveau, pérenne et soucieuse de la maîtrise de ses techniques, du choix de ses matériels biologiques et de ses interprétations, plusieurs écoles de neuroanatomie se sont épanouies, celle de Jean Nageotte, celle de René Couteaux, celle de Constantino Sotelo pour les plus connues, et d’autres, non citées dans ce résumé mais non moins intéressantes.
Jean-Pierre MARCILLE
Jean-Gaël Barbara et François Clarac (sous la direction de) : Le cerveau au microscope, La neuroanatomie française aux XIXème et XXème siècles, éditions Hermann, Paris 2017, 550 pages illustrées, 38 €
Marie-Françoise MERCK
À LA DÉCOUVERTE DES SENTIERS DE LA GÉOLOGIE, d’Alain Foucault
Formes des reliefs, affleurement des roches, végétations, cultures, élevages, habitats, tout est lié et peut s’expliquer à l’aide de notions simples de géologie et de géographie.
Ce livre est parfait pour accompagner nos balades dans ce beau pays de France et pouvoir les apprécier autrement. Avec lui, nous partons à la découverte des particularités géologiques si variées de nos régions qu’il est possible d’en faire des buts de promenade. Bien sûr, ces reliefs, minéraux, roches et fossiles, ne se limitent pas à nos frontières. S’il s’agit d’un raccourci opportuniste sur nos proximités régionales, celui-ci, par chance en France, permet de témoigner des évènements principaux pour comprendre l’histoire de la Terre.
Ce livre-guide propose un mode d’emploi très clair en commençant par la présentation détaillée des minéraux, roches et fossiles les plus connus à l’aide de magnifiques photos et fiches explicatives.
Les dix principales régions géologiques de France sont ensuite présentées et commentées avec des cartes pour se repérer, des schémas pour expliquer la géologie locale, de belles photos « pour lire les paysages » et des listes de sites particuliers à découvrir. En final se trouve un carnet extrêmement pratique de références de musées, associations, sites internet d’intérêt.
Cette « Découverte des sentiers de la géologie » est une invitation ludique et simple à vivre une passion peut-être encore ignorée.
Marie-Françoise MERCK
Alain Foucault : À la découverte des sentiers de la géologie, éditions Dunod (Muséum National d’Histoire Naturelle), Paris 2018, 208 pages, 18 €
EN FINIR AVEC LES IDÉES REÇUES SUR LA VULGARISATION SCIENTIFIQUE, de Nicolas Beck
Rédigé par Nicolas Beck, responsable des actions de culture scientifique à l’Université de Lorraine, et préfacé par Mathieu Vidard, journaliste scientifique à France-Inter que beaucoup d’entre nous écoutent avec intérêt et plaisir, ce livre au titre – et au dessin de couverture – volontairement provocateurs ne pouvait qu’intriguer. Aujourd’hui encore plus qu’hier, un chercheur doit être à l’écoute du public pour l’informer des « avancées de la science » et lui faciliter l’exercice de son esprit critique, lui permettant ainsi de distinguer le « vrai » du « faux » ou simplement du sensationnel (voir, par exemple, le dessin de la page 70). Ce faisant, le chercheur assume son dû envers la société autant qu’il rend service à lui-même en justifiant ainsi la place qu’il y occupe.
Bien que de format réduit, l’ouvrage est divisé en quinze chapitres regroupés par ensembles de trois. Au début, pour simplifier, l’auteur rassure les scientifiques sur le caractère souvent injustifié des « blocages » qui paralysent certains d’entre eux. En s’inspirant de l’intitulé des chapitres, on peut citer : « je n’ai pas de temps à perdre avec ça », « cela n’apporte rien à ma carrière », « chacun son métier », « le grand public est nul en science », « les journalistes déforment tout », « je suis nul sur Twitter ou Facebook », « je suis incapable d’expliquer ce que je fais », etc. Peut-être l’auteur est-il parfois trop optimiste dans sa démonstration du contraire et je prendrai ici un exemple, celui de l’impact de l’enseignement et de la vulgarisation sur la carrière des chercheurs et enseignants-chercheurs. Certes, tout est question de dosage, mais je ne suis pas le seul, parmi ceux qui ont siégé au Comité National de la Recherche Scientifique ou au Conseil National des Universités, à avoir constaté combien il peut être difficile de faire accepter par des commissions que la part de travail que consacre un chercheur à la diffusion des connaissances doit être comptée à son actif et non à son passif !
Pour les enseignants, la situation est même paradoxale : leur fonction d’enseignement est ignorée et le suivi (parfois aussi, le placement en entreprises) des étudiants suspect : si ce maître de conférences ou ce professeur n’a pas un dossier de recherche bien épais, c’est parce qu’il est en fait un piètre chercheur qui masquerait sa nullité en se dispersant dans des tâches subalternes. En écrivant cela, je caricature à l’extrême, bien entendu, mais cet argument, je l’ai entendu plus d’une fois, ne serait-ce que par allusion.
Ce qu’on peut considérer comme la seconde partie du livre glisse du cas des chercheurs, au sens large, à celui des « passeurs de science » professionnels que sont les journalistes scientifiques et autres médiateurs des sciences. Je suis en parfait accord avec Nicolas Beck que leur rôle est essentiel, pourvu qu’ils soient bien formés. Il fait preuve ici de sa réelle expérience, s’appuyant sur de nombreux conseils pratiques et de multiples références, bibliographiques et sur internet. Certes, certains détails pourraient apparaître des truismes, mais cela est secondaire.
Grâce à son style simple et équilibré, ce petit ouvrage se lit aisément, d’autant plus que chaque chapitre est agrémenté d’un dessin humoristique bienvenu (par « PEB&FOX »). D’autres illustrations s’y ajoutent par endroit, et 5 « fiches pratiques » clôturent la conclusion. Au total, l’auteur a réussi sa gageure de capter l’attention du lecteur dans un domaine où il n’aurait pas nécessairement porté son attention au départ.
Yaroslav de KOUCHKOVSKY
Nicolas Beck : En finir avec les idées reçues sur la vulgarisation scientifique, éditions Quae, Versailles 2017. 167 pages, 19, 90 €
UNE COMPAGNIE EN SON SIÈCLE – 350 ans de l’Académie des Sciences, par Florence Greffe et Pascal Griset
Un professeur d’histoire et un conservateur du patrimoine ont exploité les archives de l’Institution et restituent par grandes périodes les faits les plus marquants de son histoire.
Première période (1666-1698)
L’Académie mène de nombreuses observations anatomiques, la constitution d’un herbier, une cartographie du royaume ainsi que des travaux novateurs en mathématique, physique, chimie et la construction de l’Observatoire de Paris.
Au « siècle des lumières »
L’Académie est en relation avec les personnalités scientifiques les plus célèbres. Elle doit expertiser de nombreux travaux et dispositifs. Aussi, en 1775, elle décide qu’elle ne « recevrait ou n’examinerait aucun mémoire qui ait pour objet la quadrature du cercle, la trisection de l’angle, la duplication du cube et le mouvement perpétuel ». Elle organise de grandes expéditions de géodésie, d’astronomie, d’exploration….
Ayant obtenu, en 1699, le privilège de faire imprimer tout ce qu’elle veut faire paraitre, la Compagnie joue, au XVIIIème siècle, un rôle important dans la diffusion des savoirs scientifiques et techniques. Elle a aussi une possibilité d’orientation des recherches en décidant des sujets à traiter pour l’attribution de prix. Elle est aussi à l’origine de l’inventaire des richesses naturelles du royaume et des techniques de leurs transformations. De nombreux académiciens enseignent dans les grandes écoles récemment créées. Elle sert de modèle pour des académies étrangères.
Pendant la Révolution (1789-1794)
L’Académie des Sciences tente de se réformer. Elle crée le système métrique décimal, participe aux efforts de guerre mais, écartée du domaine technique et des inventions par la création du Bureau des Brevets et Inventions, cet organisme d’Ancien Régime est supprimé le 8 aout 1793, avec, toutefois, le maintien de l’activité concernant les poids et mesures par des membres de la « ci-devant Académie des Sciences ». De plus, la Convention nomme au Comité de Salut public deux ingénieurs militaires, Lazare Carnot et Prieur de la Côte d’Or, qui s’entourent d’anciens académiciens pour les perfectionnements et les fabrications des armes et des munitions. De nombreux anciens académiciens enseignent à l’’Ecole Normale de l’an III ainsi qu’à l’Ecole Centrale des travaux publics, fondée en 1794 et devenue Ecole Polytechnique en 1795. Le Jardin du Roi, réorganisé en Muséum d’Histoire naturelle, devient un grand centre de recherche. De même, plusieurs anciens académiciens deviennent démonstrateurs au Conservatoire des Arts et Métiers créé en 1794. Les membres du Bureau des Longitudes (créé en 1795) sont presque tous anciens académiciens.
La renaissance de l’Académie (1795-1869)
En 1795 aussi est créé, par la loi sur l’instruction publique, l’Institut national composé de trois classes, dont celle des sciences physiques et mathématiques comportant vingt membres nommés par le Directoire (80% d’anciens membres de l’Académie des Sciences) qui élisent quarante membres (65% d’anciens membres de l’Académie des Sciences).
Le Directoire accepte, en 1798, la conquête de l’Egypte. Bonaparte fait accompagner les militaires par des membres de l’Institut national et des ingénieurs commandés par Monge et Berthollet. Il crée l’Institut d’Égypte sur le modèle de l’Institut national. La monumentale Description de l’Egypte est publiée de 1809 à 1828.
A la Restauration les classes redeviennent des académies et leur ordre de préséance dépend de l’ancienneté de leur création (Cauchy et Bréguet deviennent membres de l’Académie des Sciences sans avoir été élus).
L’académie des Sciences joue un rôle essentiel dans la promotion des idées scientifiques nouvelles : électromagnétisme, analyse mathématique, photographie, découverte de Neptune, analyse des corps gras, synthèses totales de corps organiques, physiologie, lutte contre le «phylloxéra»… Les « Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences » sont créés en 1835. En 1839 ils sont ouverts au scientifiques étrangers à l’Académie. Un deuxième journal de « lettres » (Nature) n’apparaît qu’en 1869.
Entre guerre, Commune et République (1870-1913)
Pendant le règne de Napoléon III, les développements techniques, industriels et commerciaux sont considérables. Ils furent suivis par la défaite de Sedan et le siège de Paris. Alors que les disettes sont devenues importantes, la Compagnie expertise des produits de substitution mais consacre une large part au travail scientifique. Pendant la répression de la Commune, seule la séance du 22 mai 1871 n’a pas été tenue et l’information qui en a été diffusée (CR 77,1871, 89) me semble être fortement tendancieuse.
Après ces évènements l’Académie prend de nombreuses initiatives pour une présence française dans les organisations scientifiques internationales, notamment pour l’astronomie et le système métrique. Elle continue d’’être le lieu où sont annoncées de grandes découvertes scientifiques comme la radioactivité. Ses membres sont partagés quant à l’affaire Dreyfus.
L’Académie entre guerre et paix (1914-1973)
En 1914 l’Académie s’engage, cette fois fermement, dans l’effort de guerre : chimie, télégraphie sans fil, aviation, santé… Cette attitude induit des réflexions sur les relations entre enseignement et recherches scientifiques et techniques. Mais sont créés, indépendamment de l’Académie, l’Office national des Recherches scientifiques et industrielles et des Inventions en 1922, la Caisse nationale des Sciences en 1930, la Caisse nationale de la Recherche scientifique en 1935 et, en 1939, ces deux derniers organismes sont réunis dans le Centre national de la Recherche scientifique.
Pendant la seconde guerre mondiale la Compagnie ne prend aucune décision quant à la conduite à tenir. Même des arrestations de ses membres (Paul Langevin, Emile Borel) ne provoquent pas sa réaction. Elle refuse de publier des travaux de scientifiques de religion juive. A cette époque apparaît clairement la nécessité, pour l’indépendance nationale, d’une recherche scientifique soutenue par l’Etat. De nombreux organismes de recherche dédiés à des domaines d’activité définis sont créés (processus achevé par la création de l’Institut de Recherche en Informatique et Automatique en 1966) sans que l’Académie y prenne part.
À partir de 1976
Des modifications successives augmentent les nombres des académiciens et fixent des âges limites pour les nouvelles élections. Il en résulte un rajeunissement moyen analogue à celui de la Royal Society. Depuis, l’institution fait de constants efforts pour transmettre des avis aux pouvoirs public et pour diffuser les résultats obtenus par les chercheurs.
Au total ce livre donne une vision globale de la recherche française depuis 1666 d’une façon vivante car replacée dans les contextes historiques. Le texte d’excellente facture, abondamment illustré par une iconographie souvent exceptionnelle est d’une lecture fort agréable.
Jean BILLARD
Pascal GRISET et Florence GREFFE (avec des préfaces de Catherine BRÉCHIGNAC et Jean-François BACH), « 350 ans de l’Académie des Sciences – Une compagnie en son siècle », Éditions du Cherche Midi, Paris 2015, 232 pp. (grand in quarto relié), 39 €.
ABÉCÉDAIRE CITOYEN DES SCIENCES, de Marie-Françoise Chevallier-Le Guyader
Cet abécédaire est un joli procédé éditorial pour témoigner de l’expérience des dix premières années de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST). L’auteur, fondatrice et première directrice de cet Institut, reprend les divers analyses, dialogues et débats ayant eu lieu sur l’évolution des sciences en rapport avec son incidence sociétale. Philosophes, historiens, professeurs en sciences humaines et sociales s’expriment de manière concise sur les nouvelles perspectives ouvertes par les sciences et les technologies.
Où en est-on avec cette société du savoir à l’horizon d’un monde à 9 milliards d’habitants en l’an 2050 ? La science est-elle en passe de perdre complètement son autonomie concernant ses orientations et finalités ? Bureaucratisation des évaluations, mainmise des pouvoirs publics sur les programmes et financements, entrée de la science dans la politique peuvent induire des questions sur la finalité du savoir. La science cherche à comprendre ce qui l’entoure aussi bien dans l’espace que dans l’infiniment petit. Son rôle sociétal est de plus en plus important. Nous sommes tous concernés par l’e-médecine, le développement des nouvelles technologies, le réchauffement climatique… L’innovation considérée comme le pilier de la croissance mondiale, inquiète et fascine. Le bouleversement apporté par le numérique ouvre des espaces extraordinaires et transforme notre rapport au réel. Les échanges, l’édition, l’éducation, l’apprentissage, le stockage et l’accès aux données sont complètement modifiés.
Avec cet abécédaire, il s’agit de repenser nos valeurs et nos priorités au regard des nouveaux outils intellectuels et techniques mis à disposition par la science. C’est aussi une réponse à la demande d’échanges et de confiance du citoyen vis à vis de la science et des scientifiques.
Marie-Françoise MERCK
Marie-Françoise Chevallier-Le Guyader : Abécédaire citoyen des sciences, Éditions Le Pommier, Paris 2017, 384 pp., 23,00 €
ÉTONNANT VIVANT – Découvertes et promesses du 21ème siècle, par Catherine Jessus et al.
Où en est la science du vivant ? Quelles perspectives à venir ? Quel rôle lui attribuer dans la société ? Beaucoup de questions en ce début du 21ème siècle sur cette science qui nous concerne tous.
Tout travail de recherche sur le vivant s’inscrit aussi bien dans le cadre d’une meilleure compréhension du monde que dans le souhait d’une amélioration des conditions de bien-être, santé, alimentation, environnement pour l’homme. Pour nous en faire un bilan au plus près de l’actualité, le livre fourmille d’exemples de découvertes récentes et passionnantes dans tous les domaines. Découvertes souvent liées à une véritable révolution technologique et à de nouvelles méthodes de travail.
Le bouleversement technique actuel permet d’étudier et de manipuler le vivant jusqu’aux molécules à l’intérieur des cellules, d’aller chercher bactéries et archées jusqu’au fond des océans ou encore de pister les traces d’éléments pré-biotiques sur des comètes à des millions de kilomètres de notre planète. Dans le contexte du changement climatique en cours, les formes de vie en conditions extrêmes sont particulièrement à l’étude. Une place très importante est accordée aux procaryotes et en particulier aux bactéries dont on estime la survenue autour de 3,7 milliards d’années. Par une capacité d’adaptation extraordinaire, ces bactéries se retrouvent dans tous les écosystèmes de la terre. Leur présence microbiotique dans le corps humain, essentielle à notre santé, n’a pas fini de nous étonner. Les progrès technologiques illustrés dans différents domaines de recherche sont parfois ressentis comme un potentiel danger pour la société jusqu’à provoquer un sentiment de méfiance et de rejet. Un dialogue permanent entre chercheur et citoyen est plus indispensable que jamais au maintien de la confiance et d’un consensus social vis à vis de la science.
Cet ouvrage devrait faciliter ce dialogue sur la base du partage d’un « bio-émerveillement » en marche vers des avancées inédites. La préface est conjointement écrite par Alain Fuchs et Yves Lévy, respectivement Président-Directeur général du CNRS et de l’INSERM. Il est le témoignage recueilli auprès d’une centaine de chercheurs de laboratoires français d’horizons divers et coordonné par Catherine Jessus, directrice des sciences de la vie du CNRS. Tous, responsables et acteurs de la recherche sur le vivant, révèlent ici leurs passions. Ils nous dévoilent quelque unes des découvertes majeures de ce début du siècle mais aussi celles à venir. Le ton est enthousiaste et les illustrations magnifiques.
Marie-Françoise MERCK
Catherine Jessus (sous la coordination de) : Étonnant vivant – Découvertes et promesses du 21ème siècle, CNRS Alpha éditions, Paris, 2017, 328 pp., 20 €
FRANCE MÉDECINE GÉNOMIQUE 2025, Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN)
Il s’agit du rapport sur la mise en place de la Médecine Génomique commandé à Aviesan en avril 2015 par le premier ministre d’alors, Manuel Valls. C’est en juillet 2017 que le premier ministre actuel, Edouard Philippe, a annoncé la sélection de deux projets de plateformes génomiques, SeQOIA et AURAGEN, respectivement à Paris (AP-HP, Institut Gustave Roussy et Institut-Curie) et dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Le choix de ces deux plateformes illustre la première étape du Plan Médecine Génomique exposée dans le rapport remis par Yves Lévy en juin 2016.
Pourquoi Aviesan ? En France, les alliances thématiques de recherche ont été créées à partir de 2009. Aviesan en est un exemple pour les sciences du vivant. Ce sont des groupes de concertation chargés de réunir les principales institutions de la recherche publique dans le but principal de coordonner les priorités de la recherche et du développement en lien avec les organes du Ministère chargé de la recherche. Aviesan est dirigée depuis sa création par le président-directeur général de l’INSERM, depuis 2014 par Yves Lévy.
Le plan « France médecine génomique 2025 »
La France doit se doter d’une nouvelle filière médicale de précision, la médecine génomique. Cette médecine repose sur le séquençage génomique de milliers de patients pour aider au diagnostic et aux soins. C’est un plan de grande ampleur au bénéfice de trois grandes catégories de pathologies : les maladies rares, le cancer et, à plus long terme, les maladies communes. À partir de cet objectif, le plan propose 14 étapes à l’horizon 2025, comprenant en particulier :
- le déploiement de douze plateformes de séquençage à très haut débit couvrant l’ensemble du territoire avec mise en service fin 2017 d’un centre national de calcul intensif : le collecteur analyseur de données (CAD) ;
- la garantie d’un cadre éthique sécurisé avec proposition d’un modèle de consentement éclairé adapté à la médecine génomique validé par le Comité national d’éthique.
- la mise en œuvre de projets pilotes concernant le cancer et les maladies rares puis les maladies communes afin de détecter et/ou tester les verrous technologiques, cliniques et règlementaires identifiés ou non sur le parcours de soins.
La recherche génomique en France
Actuellement, les plateformes françaises existantes ont une capacité globale de séquençage de 11 000 exomes (c’est-à-dire l’ensemble des segments de gènes transcrits en ARN messagers, codant les protéines) et 10 000 génomes par an à destination essentiellement de la recherche et accessoirement de la médecine. On mesure tout le retard pris par la France quand on sait que, pour le combler, entre 300 000 et 500 000 génomes devraient être séquencés par an d’ici 2026, soit 30 à 50 fois plus qu’aujourd’hui. En effet, la France accuse depuis 2009 un retard dû à un investissement insuffisant dans les technologies du séquençage. Ainsi, à l’exception de l’Institut Gustave Roussy, de l’Institut Pasteur et du Centre National de Génotypage, elle ne dispose pas, contrairement à d’autres pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Chine, d’infrastructures nationales (NGS) permettant le séquençage de nouvelle génération à très haut débit, capables de réaliser des dizaines de milliers d’analyses exomiques ou génomiques par an.
Rappelons que, conscient de l’impact scientifique et économique de la médecine génomique, le gouvernement britannique a lancé en 2014 le projet « 100 000 genomes » (couvrant les maladies rares, le cancer et aussi les maladies infectieuses) doté de 300 000 000 £. Le lancement de ce projet national, qui positionne le Royaume-Uni comme le leader de la médecine génomique, est placé sous le pilotage du National Health Service (NHS) qui a créé dans ce but la société Genomic England. Le dynamisme et la structuration de ce projet ont eu un effet attractif majeur sur les industries de santé puisque dix sociétés en sont déjà partenaires. Ce projet pilote, constitue au Royaume-Uni, le socle du développement de la médecine génomique reposant sur un partenariat entre le NHS, la recherche académique et le secteur industriel.
Pour conclure, le plan France Médecine Génomique apparaît fortement charpenté dans ses objectifs et les mesures les accompagnant. Les enjeux associés en santé publique et développement économique sont d’importance majeure. Il faut espérer que, conformément à la dernière mesure, le rapport d’activité du Plan Médecine Génomique soit bientôt rendu public.
Jean-Pierre MARCILLE
http ://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2016/06/22.06.2016_remise_du_rapport_dyves_levy_-_france_medecine_genomique_2025.pdf
LA VIE SECRÈTE DES ARBRES, de Peter Wohlleben
L’auteur, forestier allemand responsable d’une forêt écologique au sud de l’Allemagne, raconte avec des mots simples sa passion pour les arbres tout en préservant, selon lui, la rigueur scientifique. Ce livre a reçu un accueil enthousiaste (tiré à 650 000 exemplaires) et a été traduit dans une trentaine de langues. Le texte fourmille d’informations et d’anecdotes intéressantes et, comme l’indique le sous-titre Ce qu’ils ressentent, comment ils communiquent, un monde inconnu s’ouvre à nous, il décrit comment les arbres vivent, se développent et, groupés en forêt, forment une communauté solidaire. Ils communiquent entre eux par des signaux chimiques et électriques, par l’extraordinaire réseau racinaire par lequel ils échangent des éléments nutritifs ou des informations telles que la sècheresse du sol. Leur « mémoire » leur permet, dans nos contrées, de germer seulement quand les grands froids sont passés. Ils organisent des défenses collectives, comme par exemple les acacias des savanes africaines dont les feuilles, si des girafes commencent à les brouter, produisent une substance toxique et libèrent un gaz qui alerte les acacias voisins, activant ainsi leur défense. Grâce en partie à ces réactions « intelligentes », la longévité des arbres est incomparablement plus grande que la nôtre.
Ce qui pose problème, c’est le vocabulaire zoomorphique et anthropomorphique utilisé par l’auteur qui décrit les réactions entre les arbres comme s’il s’agissait d’une communauté animale. Expliquer comment les arbres parents « protègent et nourrissent » leurs enfants est, parmi d’autres, une métaphore difficilement acceptable. Que les arbres – comme les autres plantes – possèdent des formes de mémoire et de sensibilité, qu’ils communiquent, s’« entraident » ou anticipent, qu’ils répondent « intelligemment » aux agressions du milieu est exact. Mais comme ils n’ont ni cerveau ni neurones, il faut trouver une autre syntaxe pour décrire comment se manifestent ces réactions « intelligentes » qui leur permettent de survivre, mais sans « penser » comme les humains ou les animaux.
Les chercheurs qui étudient depuis les années 2000 cette nouvelle branche de la botanique qui s’apparente à une cognition végétale, avec ses trois fonctions fondamentales : la mémoire, l’apprentissage et la prise de décision, découvrent peu à peu, grâce aux technologies propres à la biologie cellulaire et à l’informatique, les mécanismes cellulaires du traitement de l’information jusqu’ici peu connus chez les plantes.
Par analogie avec les récentes dispositions du Code Civil en France qui qualifient les animaux d’êtres doués de sensibilité – en Allemagne ces lois existent depuis les années quatre-vingts –, l’auteur estime qu’une comparable sensibilité existerait chez les arbres. Il croit aussi, ce qui est moins crédible, que les plantes pourraient « souffrir ». Dans le même ordre d’idées, si la Constitution Fédérale Suisse interdit de couper les fleurs le long des routes « dans le respect de la dignité de la créature » (animale, végétale ou toute autre vivante), elle a raison, non pour ne pas être cruel avec les plantes, mais plus sûrement pour la préservation de l’écosystème.
Ondine BOMSEL
Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres, éditions Les Arènes, Paris, 2017, 260 pp., 20,90 €
INTRODUCTION À L’ECONOMIE, de Jacques Généreux
C’est une surprise pour moi – qui n’ait pas reçu la moindre formation en économie – de découvrir la réédition 2017 de ce traité d’économie, présenté comme « un classique depuis 25 ans », « réécrit pour introduire les grands courants de la pensée économique et les points de désaccord entre ces derniers ».
L’auteur de ce petit ouvrage en édition poche – 280 pages tout de même – destiné aux élèves et étudiants, est l’économiste Jacques Généreux, bien connu pour son opposition à la pensée « orthodoxe » en économie et pour son engagement politique. J. Généreux est professeur à l’IEP Paris, autrement dit Sciences Po. L’engagement militant de J. Généreux aurait pu faire craindre qu’il commette un ouvrage trop engagé et donc partisan. Pour autant que je sois compétent pour en juger, cela ne me semble pas être le cas, même si l’auteur donne son opinion sur une théorie lorsqu’il l’estime irréaliste. Cet ouvrage me paraît bien être un traité d’enseignement, qui permet à un débutant d’apprendre la signification de nombreux termes utilisés dès que l’on parle d’économie dans les médias et d’appréhender des mécanismes complexes qui sont souvent évoqués mais non expliqués. Le livre est divisé en 9 chapitres bien articulés qui me semblent couvrir tous les champs principaux de l’économie. Après une introduction générale (1) et une vue d’ensemble (2), l’auteur traite les sujets suivants : les ménages et la théorie de la demande (3), les entreprises et la théorie de l’offre (4), les sociétés financières (5), les administrations publiques (6), le « reste du monde », c’est-à-dire les relations du pays avec l’étranger (7), « comment ça marche », théorie du marché et fonctionnement réel des marchés (8) et enfin les problèmes macro-économiques : crises, inflation, récession, chômage (9).
Les mathématiques sont exclues de ce texte, à l’exception de quelques formules et graphiques ultra simples. Suivant les besoins du lecteur, ce livre peut être abordé dans son ensemble à la façon d’un véritable traité d’économie, mais aussi comme un dictionnaire (grâce à une table des matières bien fournie détaillant le contenu de chaque chapitre : 80 paragraphes répertoriés au total) permettant de trouver des explications à un problème précis. A l’heure où les questions d’économie sont omniprésentes dans l’actualité politique nationale et internationale, cet ouvrage est précieux pour des non spécialistes qui désirent mieux comprendre les débats entre économistes de différents horizons et politiciens de tous bords.
Vladimir CAGAN
Jacques Généreux : Introduction à l’Économie, Éditions du Seuil, collection Points, Paris 2017, 280 pp., 8,80 €
SORBONNE PLAGE, de Edouard LAUNET
Avis positif
Cet ouvrage n’est pas un roman, mais plutôt un documentaire romancé. L’auteur, François Launet, a voulu retracer l’histoire singulière d’une communauté d’intellectuels et surtout de savants parisiens ‑ connue sous le nom de « Sorbonne Plage » ‑ qui s’est progressivement installée, en résidence secondaire, à la pointe de l’Arcouest, face à l’île de Bréhat en Bretagne du Nord.
L’idée de ce livre lui est venue, dit-il, en navigant dans ces parages et en repensant à ce qui pourrait être considéré comme un fait-divers macabre. Le pilote américain Paul Tibbets, qui a largué la première bombe atomique sur Hiroshima et qui en est resté très fier jusqu’à sa mort en 2007, a voulu être incinéré et a souhaité que ses cendres soient répandues dans la Manche. Launet suppose que certaines d’entre elles ont pu venir s’échouer sur les côtes de l’Arcouest.
Quel rapport ? Eh bien, c’est que parmi les savants qui ont, des décennies durant, fait partie de cette communauté, se trouvaient presque tous les « atomistes » français, dont quatre Prix Nobel, qui ont été à la base de découvertes ayant permis d’aboutir à la réalisation de l’arme atomique. Leur rêve d’une énergie atomique couvrant la terre de bienfaits s’est brusquement envolé le 6 août 1945 !
Comme le rappelle Launet, Albert Camus écrira le 8 août 1945 dans Combat « Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie ». Et certains de ces savants, parmi eux Joliot-Curie ou, aux États-Unis, Oppenheimer et Einstein, deviendront des adversaires résolus de l’arme atomique.
Le livre de Launet retrace l’histoire détaillée de cette « Sorbonne Plage », qui commence à la fin du 19ème siècle. L’auteur a pour cela consulté nombre de documents, mais surtout a pu se baser sur les souvenirs recueillis auprès d’Hélène Langevin-Joliot, petite fille de Marie Curie et fille d’Irène et Frédéric Joliot-Curie, ainsi qu’auprès du poète Olivier Pagès et des membres de la troisième génération de l’Arcouest, Pierre Joliot (frère d’Hélène) et David Perrin (fils de Francis Perrin et petit-fils de Jean Perrin, prix Nobel).
Au début, avant 1900, un professeur et poète breton, Anatole Le Braz, reçoit de nombreux intellectuels dans sa maison proche de l’Arcouest. Deux d’entre eux, le neurologue Louis Lapicque et son frère, ingénieur et peintre, découvrent la pointe de l’Arcouest et décident d’y faire construire chacun une maison, entre 1900 et 1904. Ils sont rejoints par l’historien Charles Seignobos. C’est le début de la constitution du groupe de l’Arcouest. À partir de cette époque et durant des décennies, vont venir à l’Arcouest un grand nombre d’intellectuels et surtout de savants, pas uniquement français, certains seulement en séjour mais d’autres s’y installant et faisant construire, comme par exemple Jean Perrin ou Marie Curie, mais ils ne furent pas les seuls.
Au fil de ses 213 pages, Launet s’attarde longuement sur cette communauté, reconstituant différents tableaux de la vie à l’Arcouest ou ses environs. Mais il retrace aussi des évènements scientifiques ou politiques auxquels furent mêlés tous les protagonistes de cette sorte de saga. On y parle évidemment de science, heureusement de façon parfaitement compréhensible pour un néophyte, mais aussi de politique internationale.
Il y est largement question de l’évolution des travaux en science nucléaire, en France et aux États Unis entre les deux guerres mondiales, qui concernent de près les atomistes de Sorbonne Plage. On y croise aussi nombre de personnalités du monde intellectuel et même, brièvement, les Bettencourt père et fille !
Il n’est pas question de faire ici un résumé, même sommaire, de cet ouvrage que j’estime très agréable à lire. Ce serait d’autant plus difficile que Launet entrelace les épisodes purement Sorbonne-Plage avec des récits se situant ailleurs, en France et dans le monde, sans rapport direct avec la vie ordinaire à l’Arcouest. Par exemple, revenant au déclic qui lui a inspiré ce livre, il consacre plusieurs chapitres à une description (sommaire) de la préparation du bombardement d’Hiroshima aux États Unis et même à la personnalité du pilote Paul Tibbets.
Mais c’est surtout la partie « Sorbonne Plage » qui me parait la plus captivante, car elle nous fait découvrir une face peu connue de la vie privée de cette collectivité de savants qui ont joué un rôle de premier plan dans la science française de l’entre-deux guerres. La communauté de l’Arcouest existe toujours, mais bien plus réduite : elle en est à sa cinquième génération, après Pierre Joliot et David Perrin.
Pour plus de détails, se reporter à :
– Exposition itinérante, 2008. Espace des Sciences, Rennes
– L’Arcouest ou « Sorbonne Plage », conférence du 13 janvier 2009 avec Hélène Langevin-Joliot (http://www.espace=sciences.org/conference/1-arcouest-ou-sorbonne-plage). Espace des Sciences, Rennes
Vladimir CAGAN
Avis réservé
Dés le début, l’auteur nous explique son désir de décrypter une histoire plus humaine que celle qui se déroule dans les manuels d’histoire des sciences. Quel genre de « vacanciers » était ce groupe d’universitaires normaliens, Dreyfusards puis antifascistes, qui entendaient associer progrès scientifique et progrès social ? Qu’est ce qui explique l’implantation de ces professeurs de Sorbonne dans ce coin perdu de Bretagne ?
Une série d’historiettes accompagne incessamment ce récit.
Le professeur Seignobos, un « ponte » dont le bégaiement fait de ses cours à la Sorbonne des moments parfois comiques, aime inviter sur son bateau des jolies dames et aussi des enfants, de préférence les jolies petites filles. Seignobos, toujours lui, « marche, bras dessus-bras dessous, avec une certaine Cécile Marillier, distinguée, mais plus âgée que l’historien ».
On apprend plus loin que cette « vieille compagne (elle avait quinze de plus que lui) tenait un salon connu pour être fréquenté par tous les grands Dreyfusards.
Perrin, « un type en espadrilles, mange en pique-nique comme les autres savants-estivants, des demi-melons dont la coque leur sert ensuite d’assiette de déjeuner. » Il a une jolie maison où sa maîtresse et assistante au laboratoire cohabite avec sa femme.
Parler de Fred, quand on évoque Fréderic Joliot-Curie, ne me le rend pas plus familier. Étudiante, j’ai connu sa femme, que je n’aurais jamais pensé appeler Irène en parlant d’elle.
La suggestion de l’auteur que Marie Curie ait fait couramment la bise en croisant sur la route de la plage la petite Liliane Schueller (depuis Bettencourt), la rencontre de la découvreuse du radium et de la fille de celui qui découvre l’Ambre solaire, comme bien d’autres anecdotes de la même veine dont est faite la moitié de ce livre, ne semble pas apporter beaucoup à la connaissance de l’histoire de ce groupe de scientifiques rationalistes confrontés à la découverte de la radioactivité et à l’utilisation qu’on en fit à Hiroshima, ce qui compose l’autre partie du livre, traité avec la même tonalité.
Ce livre, qui se veut léger, montre son propre pessimisme en regardant l’avenir que nous amène le progrès de la science : sous les grands espoirs couvent souvent de grandes catastrophes, dit-il. Il montre comment la foi dans une science émancipatrice a pu vaciller chez ces chercheurs qui se sentaient responsables par leurs travaux des effets immédiats et futurs de la bombe atomique et conclut avec sa propre vision très négative de la science qui n’est qu’un totalitarisme, comme les utopies politiques.
En août 1930, le magazine Vu, le Paris-Match de l’époque, envoya reporters et photographes pour interviewer le groupe de l’Arcouest, ce qu’ils publieront ensuite, mais avec beaucoup plus de discrétion que l’auteur. « L’intimité des savants, bon sujet, coco » fait il dire aux journalistes. L’auteur du livre nous montre en effet qu’il n’est lui-même qu’un excellent mais agaçant journaliste, car il banalise absolument ses personnages ; il n’est malheureusement pas un historien, quel dommage !
Ondine BOMSEL-HELMREICH
Édouard LAUNET : SORBONNE PLAGE, Stock, Paris, 2016. Broché, 216 pages, 18 €.
SI EINSTEIN M’ÉTAIT CONTÉ…, de Thibault Damour
La quatrième de couverture de cet livre précise que l’auteur, M. Thibault Damour, professeur de physique théorique à l’IHES et membre de l’Académie des Sciences, est mondialement connu pour ses travaux sur les trous noirs, les pulsars, les ondes gravitationnelles, etc. Visiblement il est aussi un grand admirateur d’Einstein et un spécialiste de la relativité. Son ouvrage, qui vient de paraître, est une nouvelle édition complétée d’une première version, parue à l’occasion du centenaire de la théorie de la relativité restreinte.
L’édition actuelle paraît en 2016, année qui, selon l’auteur, est « à marquer de plusieurs pierres blanches ». En effet l’année 2016 correspond au centenaire de plusieurs publications fondamentales d’Einstein ainsi que de la découverte par Karl Schwarzschild de la première solution exacte des équations de la relativité générale. D’autre part, c’est en février dernier qu’a eu lieu la première détection d’ondes gravitationnelles, qui « apporte l’une des plus remarquables confirmations de la pertinence de la théorie de la relativité générale ».
Comme le précise l’auteur, ce livre n’est pas une biographie d’Einstein. En dehors de quelques lignes introductives liées à son enfance et de la mention de ses mariages, il n’y est jamais question de sa vie privée, sauf pour ce qui concerne des lieux de séjour ou de voyage en relation avec ses travaux et ses rencontres avec d’autres savants.
Le livre est divisé en grands chapitres : le temps en question, l’échiquier du monde, l’espace-temps élastique, le jeu du monde einsteinien, la lumière et l’énergie des grains, face au sphinx et l’héritage d’Einstein, eux-mêmes contenant différents paragraphes qui correspondent à des évènements datés.
Il n’y a aucun intérêt dans cette courte note de tenter de résumer chacun des chapitres, qui nous font suivre Einstein tout au long de sa vie et des principaux évènements scientifiques qui lui sont liés, longuement décrits de façon accessible. C’est par là même un excellent cours de vulgarisation ‑ dans le bon sens du terme ‑ sur la relativité. Cela nous amène aussi à découvrir l’histoire de la maturation des idées qui ont abouti à ces théories et découvertes.
Nous avons aussi la confirmation qu’Einstein a réalisé des découvertes fondamentales dans d’autres domaines que la relativité, aussi bien pendant sa période considérée comme la plus créatrice (1906-1925) que jusqu’à sa disparition en 1955. D’ailleurs, à la fin de l’ouvrage, l’auteur rappelle en quelques lignes certaines des applications pratiques actuelles qui ne fonctionnent que grâce à des découvertes d’Einstein.
Par ailleurs, deux points d’histoire particuliers, qui ont fait polémique, ont retenu mon attention.
Au sujet de l’article fondateur de la relativité de juin 1905, l’auteur cite ce qu’Einstein écrit à la fin du texte : « En conclusion, je tiens à dire que mon ami et collègue M. Besso m’a constamment prêté son précieux concours…et que je lui suis redevable de plusieurs suggestions utiles ».
D’autre part l’auteur prend nettement position en faveur d’Einstein dans la polémique, qui est loin d’être terminée, sur l’apport de Lorentz et surtout de Poincaré à la théorie de la relativité restreinte. Son argumentation, développée sur plusieurs pages, m’a paru convaincante mais je suis un néophyte en la matière…
L’un des intérêts de cet ouvrage, très agréable à lire, est qu’il ne s’adresse pas à des spécialistes : il permet à tout lecteur attentif ‑ avec bien sûr quelques bases de culture scientifique ‑ de se faire une idée juste de la relativité et d’autres théories de la physique moderne. Ici pas d’équations mathématiques plus compliquées que par exemple la célèbre E = mc2, mais un rappel expliqué de certaines constantes physiques et quelques figures simples qui favorisent la compréhension.
En fin d’ouvrage, vingt cinq pages explicitent les notes numérotés du texte, pour fournir plus de détails sur certains points ; une bibliographie est aussi proposée.
Vladimir CAGAN
Thibault Damour : Si Einstein m’était conté… Flammarion, collection Champs Sciences, 2016. Broché, 295 pages, 8 €.
LA GUERRE FROIDE ET L’INTERNATIONALISATION DES SCIENCES – Acteurs, Réseaux et Institutions, de Corinne DEFRANCE et Anne KWASCHWIK (sous la direction de)
Cet ouvrage fait suite au colloque Science, internationalisation et guerre froide. Bilan et perspectives de Recherche organisé à l’université de Berlin en juin 2012 en partenariat avec le Comité d’histoire du CNRS. Il s’agit d’une série de neuf textes coordonnés par deux historiennes, l’une du CNRS (C. Defrance) et l’autre de l’université de Berlin (A. Kwaschik). Tous les auteurs sont eux-mêmes historiens de différents horizons, aussi bien nationaux que thématiques.
Cette socio-histoire de la guerre froide et de son retentissement sur la gestion de la science se découpe en quatre parties :
- La première partie traite des « Collaboration internationale et stratégies nationales ». Elle commence d’emblée par l’impact du passé de la guerre (crimes nazis et comportement de certains savants allemands) sur la reprise difficile des collaborations scientifiques franco-allemandes. Puis il est question de la mise en place de nombreuses institutions scientifiques internationales au cours de l’affrontement bipolaire de la guerre froide.
- La deuxième partie, sur les « Institutions nationales et les pratiques scientifiques internationales », décrit les efforts de Fernand Braudel pour développer après 1945 des recherches collectives et interdisciplinaires en sciences sociales. L’objectif de ces études sur les aires culturelles (areas studies) vise une connaissance globale du monde et par contrecoup, le maintien de la paix. La renommée de F. Braudel permet de garantir l’autonomie de la France dans cette organisation qui englobe le Centre Européen et la Fondation Rockefeller des USA. Ces programmes amènent à la découverte de l’« American way of life » qui animera la vie intellectuelle et sociale française en 1950-60. Dans cette partie se trouve également un texte sur le CNRS qui doit se positionner entre la recherche américaine, avec son aide financière, et l’activité scientifique impressionnante des Russes (Spoutnik, en 1957). Cependant, toutes les relations d’échanges avec l’URSS vont être stoppées après le printemps de Prague, en 1968. Vont alors se mettre en place davantage de collaborations avec les USA et l’OTAN pour traiter des défis de la société moderne.
- La troisième partie, « La science entre les blocs : coopération ou rivalité ? », traite des enjeux scientifiques, à distinguer des enjeux politiques tout en tenant compte des méfiances existant de part et d’autre. Les échanges entre scientifiques contribuent plutôt à la circulation des savoirs qu’à une réelle internationalisation de la science. Dans cette partie est également présenté le cas particulier des manuels scolaires et de leurs révisions internationales. Se basant sur ceux de l’histoire, il est admis que les différents points de vue, européens et mondiaux, sur un événement doivent être reconnus tout en conservant la légitimité de l’histoire nationale. Apparaît alors l’incompatibilité entre ce principe révisionnel de l’Ouest et l’historiographie de l’Est.
- En quatrième partie, « Construction d’une Europe de la science », sont analysées la construction de l’Europe de la science et sa politique de coopération. La guerre froide 1945-1989 se termine par la chute du mur de Berlin. Pendant cette période, l’hégémonie économique des USA prédomine en même temps que progresse l’émergence d’une communauté européenne. Le but stratégique de la recherche en Europe est de répondre à des impératifs de croissance économique. Les USA, hyperpuissance scientifique et technologique, coopèrent avec l’Europe et privilégient un challenge technologique. La relation franco-allemande devient un partenariat privilégié, surtout après 1980, mais toujours dans un certain contexte d’antagonisme et de rivalité.
En conclusion, nous avons ici l’analyse de différents aspects de la construction européenne de la science. Cette construction, influencée directement par les USA en réponse à la guerre froide, amène à des programmes de recherche de type finalisé débouchant sur une nouvelle technoscience. D’où des interrogations sur le danger d’un travail scientifique trop lié à l’industrie et au politique et sur le développement d’une innovation forcenée oblitérant l’accroissement des connaissances pour un meilleur mode d’existence humaine.
Au total, nous nous trouvons avec des analyses pertinentes et richement documentées sur cette histoire récente de l’évolution de la recherche. Les enjeux économiques et politiques, certes particuliers de l’époque, sont éclairants en ce qui concerne la compréhension de notre présente actualité.
Marie-Françoise MERCK
Corinne Defrance, Anne Kwaschik (sous la direction de) : lL guerre froide et l’internationalisation des sciences ‒ Acteurs, réseaux et institutions. CNRS-Éditions, Paris, 2016. Broché, 156 pages, 29 €.
L’ÉVOLUTION – QUESTION D’ACTUALITÉ ? de Guillaume LECOINTRE
Si le titre du livre, « L’Évolution », dit bien son contenu, le sous-titre, « Question d’Actualité » pourrait aussi bien être au pluriel, car c’est en effet à un ensemble de réponses à des questions que se posent certainement bien des lecteurs qui nous est offert. Par la force des choses, je ne pourrais évoquer ci-dessous que quelques unes des 80 présentées. L’auteur, professeur au Muséum, est un spécialiste reconnu du domaine couvert par le département qu’il dirige, Systématique et Évolution. Très impliqué dans la formation des enseignants, il a publié une douzaine de livres (dont, avec Hervé Le Guyader, le classique « Classification phylogénétique du vivant » aux éditions Belin, un ouvrage de référence) ; pendant une dizaine d’années, il a été aussi chroniqueur scientifique à Charlie Hebdo. Il faut préciser d’emblée qu’il est un farouche défenseur de l’apport de Darwin, ce qui est précieux en ces temps où dans certains pays l’idée même d’évolution est contestée… Dans ce qui suit, je distinguerai l’analyse de l’ouvrage de mes réflexions personnelles en plaçant ces dernières entre crochets [ ].
L’ensemble est divisé en 4 parties. Le chapitre 1 est naturellement intitulé « Qu’est-ce que l’évolution ? ». C’est le changement en soi et pas le récit qu’on en fait (historicité). Ce changement, qui n’a de sens qu’au niveau de la population, même s’il touche aussi bien l’individu que la cellule, est à relier au changement permanent du milieu. Il résulte de variations fortuites filtrées par la sélection naturelle, avec de nombreux essais et erreurs. Ceci est bien connu et non contestable, quoiqu’on sache, depuis Motoo Kimura en 1968, que la plupart des mutations sont neutres, c’est-à-dire apparemment sans avantage soumis au tri sélectif. [Plus subtilement, on pourrait distinguer les mutations silencieuses : la protéine codée est identique car le code est redondant, neutres : la protéine codée est un peu différente mais fonctionnelle, faux-sens : une protéine est synthétisée mais elle n’est pas fonctionnelle, et non-sens : la protéine n’est pas synthétisée.] Quant au déterminisme, il peut être soit « nécessaire », prédictif (une ou peu de causes maîtrisées) ou imprédictif (trop de causes : cas du lancement de dés), soit « contingent » (exemple cité : coïncidence de la chute d’une tuile et du passage d’un piéton au même moment, même si chacun de ces évènements avait sa cause déterministe propre).
Un autre point traité est la définition de l’« espèce », qui doit être basée sur l’existence de barrières de reproduction. En fait, au moins deux critères seraient à considérer : la fécondité inter-spécifique et la permanence de traits structurels et même fonctionnels. [Ce paragraphe est traité rapidement, car il ne traite pas l’hybridation animale et surtout végétale, naturelle ou forcée, y compris au niveau cellulaire ; de plus, les fossiles ne peuvent être étudiés que sur la base de critères morphologiques et pas reproductifs.]
Le chapitre 2 porte comme titre « Dans l’intimité du vivant ». Ici est évoquée la notion introduite par Richard Dawkins en 1976, de « gène égoïste » impliquant la toute puissance du gène. Depuis, on sait que l’« épigénétique » (avec méthylation et acétylation de bases de l’ADN), héritable au moins sur plusieurs générations, gouverne l’expression des gènes, ce qui rend le système plus souple mais plus complexe. L’autre facteur à considérer est l’« apprentissage », parental, inter-générationnel et intra-générationnel [Il est à remarquer que cela ne concerne que les animaux « supérieurs » ‑ je n’emploie cet adjectif, dénué de sens profond, que par souci de brièveté – et exclut, par exemple, le monde végétal et a fortiori microbien.] Le problème de la « fidélité », de l’« infidélité » des couples reproducteurs et celui de l’homosexualité est bien développé. L’homosexualité, qui touche quelque 450 espèces, est essentiellement vue ici dans son rôle social, par exemple dans la régulation des conflits.
Le chapitre 3 est une « Brève histoire du vivant », certainement un clin d’œil au best-seller de Stephen Hawkin. La première question est « Qu’est-ce qu’être vivant ? ». On peut dire que c’est un ensemble organisé, séparé du milieu environnant par une membrane sélective et soumis à un flux de matière et d’énergie assurant un état d’équilibre dynamique (il faudrait y ajouter la reproduction, individuelle ou partagée, celle-ci impliquant la sexualité). [Peut-être, la vie se définit-elle plus facilement par son contraire, la mort, incidemment délicate à déterminer avec les végétaux. Elle peut se voir comme un arrêt des flux en question, par dissipation du gradient de protons ‑ et donc arrêt de la synthèse d’ATP, source universelle d’énergie cellulaire ‑, interruption de l’homéostasie ionique et dépolarisation membranaire généralisée, le tout faisant basculer le système dans un état d’équilibre cette fois statique, avant que la décomposition fasse son œuvre.]
Le problème de la réversibilité de l’évolution est aussi abordé ; parfois, elle est apparente, l’exemple cité étant l’échange d’une adénine par une guanine elle-même remplacée par une cytosine et celle-ci enfin par une adénine : chaque étape est irréversible, mais le bilan est nul.
Un autre problème est le fameux LUCA (Last Universal Common Ancestor) dont l’existence est postulée si on part d’une souche commune à tous les êtres vivants. [Ceci pose la question de savoir si la vie a émergé par hasard ou par causalité. Si c’est par hasard, on peut admettre que ce « tirage au sort » a une très faible probabilité de se reproduire. Si c’est par suite d’un enchaînement de causes et effets, ces causes étaient-elles contingentes ou imposées ? Si elles étaient imposées, c’est-à-dire si la vie devait apparaître quand les circonstances étaient favorables, l’a-t-elle fait plusieurs fois, dans le temps et dans l’espace, et alors de manière identique ou avec des variantes ? S’il y a polyphylétisme, les différentes souches devraient partager des fondamentaux communs pour qu’en quelque sorte leurs descendants s’enchevêtrent dans un arbre de vie pour nous unique. Une autre possibilité serait qu’une seule souche ait triomphé, encore une fois par contingence ou par nécessité, les autres n’ayant pas engendré de descendants, du moins détectés. Enfin, poser cette question de la vie sur Terre l’élargit obligatoirement à celle de la vie dans les exoplanètes.]
Une interrogation parallèle est de savoir qui, des molécules de la vie telles qu’on les connaît, était premier : ADN, ARN ou protéines ? Pour G. Lecointre, la stabilité relative de celles-ci par rapport à celle des acides nucléiques, l’abondance et la diversité de leurs « briques » constitutives ‑ 20 acides aminés universels, de plus relativement abondantes dans l’espace, vs. 5 bases pour les ADN et ARN, dont 3 communes ‑ plaident pour des protéines princeps ; peut-être.
L’irréversibilité de l’évolution est discutée en examinant le scénario classique de la sortie de l’eau : elle a eu lieu plusieurs fois dans la séquence géologique et il y a eu des retours (crocodiles, cétacés, phoques…) ; de plus, certains poissons, comme les sarcoptérygiens du Dévonien, pouvaient marcher au fond de l’eau.
On se demande toujours si le développement récapitule l’évolution. La réponse est globalement oui, avec la précision que ce sont les organes les plus distribués qui apparaissent les premiers : vertèbres > membres > plumes, par exemple, ce qu’on peut voir comme parallèle à la séquence évolutive.
Les grandes interrogations que sont l’« extinction des espèces » et la « crise de la biodiversité » ‑ que G. Lecointre qualifie plutôt de crise de responsabilité des sociétés ‑ sont abordées. Si les populations ne présentent qu’une faible diversité génétique, l’espèce est effectivement menacée (cas de la consanguinité, illustrée par la fragilité des lions du cratère du N’gorongoro, en Tanzanie, un écosystème isolé) ; les espèces résilientes, elles, ont une population élevée, une descendance nombreuse et une forte diversité génétique, tout ceci étant lié. Un paragraphe est consacré aux catastrophes cosmiques, comme la chute d’un météorite géant au Yucatan à l’origine de la transition Secondaire-Tertiaire (Crétacé-Paléocène). Elle a été accompagnée d’un volcanisme hyperactif entraînant d’immenses coulées basaltiques stérilisantes (cf. le plateau central indien). Moins connue est l’existence des « trapps » équivalents en Sibérie, correspondant à la jonction Primaire-Secondaire (Permien-Trias). Ces évènements cataclysmiques ont pu provoquer une extinction massive d’espèces, suivie d’ailleurs d’une sorte d’explosion de nouvelles vies.
Le chapitre 4 et dernier est multithématique. Je ne retiendrai ici que le cas de la formation de l’œil élaboré, apparu plusieurs fois dans l’évolution, l’exemple classique étant celui de la pieuvre et celui des vertébrés. G. Lecointre parle d’évènements fortuits, alors qu’il s’agit d’un ensemble extraordinairement complexe coordonné par nombreux gènes à placer dans une séquence évolutive en principe aléatoire. [Ce dernier cas conduit à une réflexion générale. Sans verser dans un lamarckisme naïf d’hérédité des caractères acquis – que ne récusait d’ailleurs pas Darwin, compte tenu des connaissances de son époque –, on peut s’interroger sur le caractère exhaustif de la théorie darwinienne, même actualisée par l’épigénétique, encore grandement à explorer. Voir dans l’évolution uniquement le fait du hasard (mutations) trié par la sélection qui choisirait le meilleur ‑ dans une niche donnée – paraît incomplet. Une mutation à elle seule ne crée pas un organe et quel serait le critère du tri dans les étapes intermédiaires ? Une approche probabiliste de l’évolution intégrant le paramètre temps est nécessaire. La question d’un « déterminisme » ‑ n’excluant pas le hasard et encore moins la sélection ‑ reste posée, non dans la perspective d’un finalisme ou de son avatar « intelligent design », qui sont hors du champ de la science, mais dans celle d’une succession de causes (internes et externes) et d’effets dans des systèmes d’auto-organisation et d’auto-régulation. Ainsi, un effet n pourrait devenir un élément de causalité d’un effet n+1.]
Il était évidemment impossible de discuter de tous les aspects de l’évolution dans la centaine de pages de cet ouvrage, mais l’existence d’approches complémentaires et pas forcément opposées au darwinisme aurait pu être mentionnée. Quoi qu’il en soit, ce livre met en lumière l’essentiel des connaissances actuelles sur l’évolution. Certains pourront trouver que sa fragmentation en de multiples questions l’apparente plus à un dictionnaire, destiné à être consulté ponctuellement, qu’à un ouvrage à lecture continue. Je ne pense pas que cela soit contradictoire, l’essentiel étant de donner des informations de qualité à tous ceux que la grande question de l’évolution biologique intéresse.
Yaroslav de KOUCHKOVSKY
Guillaume Lecointre : L’évolution – Question d’actualité ? Éditions Quae, Paris, 2014. Broché, 107 pages, 12 €.
1177 AVANT J.-C. – LE JOUR OÙ LA CIVILISATION S’EST EFFONDRÉE, de Eric H. CLINE
Le sous-titre de ce livre, « le jour où.la civilisation s’est effondrée », est un peu accrocheur et approximatif. Approximatif, car l’effondrement en question n’a évidemment pas duré un jour, ni même un an comme l’indique le titre anglais, mais facilement vingt fois plus ; c’est certes peu au regard de ces époques qui nous sont si lointaines mais long à l’aune d’une vie humaine. Approximatif aussi, car dès que les sociétés ont commencé à se structurer, il s’est créé progressivement des civilisations et pas une. Quant aux effondrements d’empires ou royaumes, ils sont nombreux au fil des siècles, depuis Sumer, il y a 4-5 000 ans jusqu’à l’URSS et les empires coloniaux européens, en passant par le Mali et le Ghana, les immenses empires de Gengis-Khan puis de Tamerlan et des Ottomans, les Aztèques et les Incas, les Khmers et, bien entendu, Rome !
La transition de l’âge du bronze à l’âge du fer dont il est question a vu s’affronter et se transformer plusieurs empires, l’empire n’étant pas tant défini par sa superficie que par la multiplicité des peuples qui y habitent, avec leurs propres langues et cultures. Il s’agit ici des Proche et Moyen Orients, ce « Croissant fertile » qui va du golfe Persique à la Méditerranée orientale et au Pont-Euxin (actuelle mer Noire). L’Égypte de la vallée du Nil s’accroche à cet arc par les terres disputées du Sinaï et de l’actuel Liban-Syrie en passant par le pays de Canaan. Les autres acteurs, au-delà de ces côtes, sont Chypre et les turbulents royaumes grecs (dont les Mycéniens), Crète comprise (Minoens).
Ce vaste « Couchant asiatique » englobe la Babylone, le royaume de Mitanni (Assyrie) et l’empire Hittite (actuelle Anatolie). Tous sont marqués par des états forts, avec un haut degré d’organisation, civile et militaire, et de civilisation. Tous entretiennent de nombreux échanges politiques, commerciaux et culturels. Pourtant, en très peu de temps, l’ensemble s’est écroulé, non pour laisser place au vide, même si les habitants fuyaient leurs villes détruites, mais à une redistribution régionale, offrant entre autres l’occasion aux négociants de se substituer à un état disparu, Après ce drame, l’Égypte, dont le dernier pharaon qui compte serait Ramsès III (XXème dynastie, Nouvel Empire), sortira affaiblie, devenant finalement cette proie facile dont se saisiront, des siècles plus tard, Alexandre de Macédoine puis César et (Marc-)Antoine de Rome.
Cela est certes connu par beaucoup, même si j’avoue avoir dû un peu rafraîchir ma mémoire. Ce n’est donc pas tant ce rappel historique qui importe, présenté de manière synthétique, mais la question posée : quelles sont les causes de cette chute ? Comme on peut s’y attendre, elles sont multiples : l’inévitable usure intérieure du pouvoir, le coût des conflits inter-étatiques, les guerres civiles, les perturbations du commerce international, mais aussi la pression de peuples migrants (dont les assez mystérieux « Peuples de la Mer », venant d’une vaste zone allant de la Sardaigne à la Grèce). Enfin – surtout ? ‑ des évènements géologiques (séismes) et climatiques majeurs (dont de longues sécheresses entraînant famine et émeutes) s’abattent sur cette région. Non sans raison, l’auteur fait le rapprochement avec notre époque…
Un apport de ce livre, au delà de la fresque historique ainsi brossée, c’est d’avoir illustré l’importance des phénomènes environnementaux dans l’histoire. De plus, chaque information, même anecdotique, est étayée par des textes originaux de l’époque (évidemment traduits, aussi fidèlement que possible) plutôt que par le récit reconstitué dans le langage de notre temps. Cet accès direct aux sources est des plus précieux, dans le fond comme dans la forme, et montre comment se bâtit petit à petit une synthèse d’évènements épars. C’est un exemple du travail des historiens, mal connu par ceux d’entre nous venant des sciences « dures » (Eric H. Cline est professeur d’histoire ancienne et d’archéologie à l’université George Washington de Washington).
Mon jugement serait donc positif sur ce point ; de plus, la taille réduite du livre (moins de 300 pages en format poche, avec sa cartographie) est plus accueillante que bien d’épais ouvrages d’histoire. Je regrette pourtant que cet essai soit plutôt mal structuré, avec de fréquentes redites, et assez mal écrit (ou mal traduit ?). De plus, on aimerait plus d’ouverture hors du monde américano-anglais, car c’est quand même grâce aussi à des archéologues et historiens « continentaux » qu’ont été posés les fondements de la discipline et qu’elle continuait à se développer jusqu’aux tragiques évènements actuels ! Or, allemands et français, pour ne citer qu’eux, sont à peu près ignorés par l’abondante bibliographie.
Yaroslav de KOUCHKOVSKY
Eric H. Cline : 1177 avant J.-C. – Le jour où la civilisation s’est effondrée. La Découverte/Poche, 261 pages, 8 €.
LE QUOTIDIEN DU CHERCHEUR – Une chasse aux fantômes, de Cédric Gaucherel
Précédemment, le petit livre de Sébastien Balibar, Chercheur au quotidien. avait fait l’objet d’une Note de lecture. S. Balibar y décrivait en termes simples le quotidien d’un expérimentateur au laboratoire. L’opuscule que nous offre Cédric Gaucherel, astrophysicien de formation puis chercheur à l’INRA, porte un titre analogue, assorti d’un sous-titre laissant quelque peu perplexe. Son objet est différent, quoique complémentaire de celui de Balibar. En effet, le livre de C. Gaucherel traite des questions que se pose – devrait se poser – un chercheur sur sa pensée et sur les connaissances, les méthodes, les structures et l’impact social de la recherche. Cet exercice est difficile, car il a un côté subjectif, pas nécessairement partagé par tous, du moins dans sa formulation.
Le texte de C. Gaucherel est encadré par une préface de Guillaume Lecointre, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris (et signataire, avec Hervé Le Guyader, d’une œuvre essentielle, la « Classification phylogénétique du vivant » en 2 volumes aux Éditions Belin), et par une longue postface d’idées complémentaires de Vincent Bonhomme, ancien doctorant de l’auteur.
Dans un premier chapitre, La nature, C. Gaucherel aborde la question de la biodiversité dont il distingue trois aspects, génétique, spécifique et écosystémique. Comme il le souligne, cette notion de biodiversité est suffisamment vaste pour que, comme l’écologie, elle soit appropriée en dehors du champ scientifique. Je ne suis pas sûr que l’analyse de tous ces termes par l’auteur en clarifie le côté complexe (qu’il distingue, à juste titre, de compliqué). Plus intéressant me semble être le paragraphe « algorithmes contre équations ». On peut en effet se demander jusqu’à quel point la simulation numérique par des algorithmes est aussi représentative de la « réalité » qu’une formalisation par des équations, plus à même de lier les causes aux conséquences. Ce sont en fait des approches qui se complètent et, parfois, seul l’outil informatique peut être utilisé.
Le deuxième chapitre, La société, commence par une observation qui nous est familière sur la façon dont une idée novatrice est initialement perçue par la communauté scientifique (un exemple dans mon domaine a été la théorie chimiosmotique de Peter Mitchell, au départ violemment combattue, puis universellement adoptée lorsqu’il obtint le prix Nobel…). Une autre remarque concerne l’impact du nombre croissant de chercheurs et la compétition qui en résulte sur le progrès de la connaissance. Cette expansion démographique oblige beaucoup à survaloriser leur contribution – ce que je qualifie de diminution du rapport signal/bruit – alors que, comme le dit justement l’auteur, « le seul moyen de rester modeste est d’être brillant », ce qui n’est pas à la portée de tout le monde… Il pose aussi la question de savoir jusqu’à quel point nous sommes interchangeables : qui, se demande-t-il, peut affirmer qu’en remplaçant des chercheurs par d’autres, la science prendrait le même chemin ? [Probablement oui, dans les grandes lignes, car rares sont les défricheurs de nouveaux sentiers, alors que la majorité suit la route principale. Même parmi les grands pionniers de la science, la quasi-simultanéité est fréquente (et la compétition parfois rugueuse…). Je pense ici à Newton (génial mais mesquin) et Leibniz : calcul infinitésimal) ; à Darwin (qui a quelque peu négligé les intuitions de son grand-père Érasme, ce qui n’enlève rien à son exceptionnel apport) et Blyth ou Wallace : évolution ; à Hubble et Lemaître, lui-même précédé de Friedmann, (Фридман) : big bang ; et même à Einstein et Poincaré, en partie son précurseur : relativité.]
Le dernier chapitre, La recherche, cet interface entre nature et société, reprend pour commencer la question de la créativité scientifique. [Il me paraît essentiel ici que la créativité soit distinguée de la création : l’Art est création et la Science découverte, même si Art et Science ont en commun l’imagination. C’est pourquoi une œuvre d’art est unique et subjective alors qu’une avancée scientifique est partagée et se doit d’être objective, dans les faits sinon dans leur interprétation, qui reste contrainte.] Dans un paragraphe suivant, l’auteur, pose une autre question, « Qu’est-ce qu’un bon chercheur ? », citant l’aphorisme prêté à De Gaulle selon qui « des chercheurs qui cherchent, on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche ». [On pourrait ajouter le « bon mot » de Georges Pompidou sur la meilleure façon de perdre de l’argent et la diatribe de Nicolas Sarkozy, en janvier 2009, fustigeant la productivité des chercheurs français qui n’avaient pas à se plaindre, car « il y a de la lumière, c’est chauffé ».] Gaucherel oppose ici la phrase de Gaston Bachelard qui disait avec sagesse : « celui qui trouve sans chercher [intentionnellement] est celui qui a longtemps cherché sans trouver », ce qui est le propre de la sérendipité, à l’origine de tant de découvertes majeures. Il rappelle aussi la réflexion d’Henri Poincaré sur la rigueur exigée du chercheur qui, poussée à l’extrême, peut brider son inventivité et son intuition.
Pour conclure, il ne faut pas attendre de ce petit livre le développement d’idées remettant en cause plusieurs de nos présupposés. Nombre des réflexions qui y sont faites pourraient être formulées différemment, mais ce n’est pas essentiel. L’essentiel est que sa lecture nous offre l’occasion de faire le point sur les bases mêmes de notre démarche scientifique, ce qui est un peu occulté lorsque nous sommes plongés dans le quotidien de la recherche. Ne serait-ce que pour cette raison, il est utile de lire cet essai.
Yaroslav de KOUCHKOVSKY
Cédric Gaucherel, Le quotidien du chercheur – Une chasse aux fantômes, 2013, coll. essais, Éd. Quae, Versailles, 96 pages, 9,90 €
LE THÉORÈME DU PERROQUET, de Denis Guedj
Il s’agit ici d’un ouvrage un peu spécial pour cette rubrique, le roman Le théorème du perroquet de Denis Guedj (1940-2010), un mathématicien qui enseignait l’épistémologie et l’histoire des sciences à l’Université Paris VIII. Parfois considéré comme le pendant du best-seller Le monde de Sophie, racontant la philosophie pour moi de manière décevante, celui-ci me paraît recommandable. Sur la trame d’un récit rocambolesque, avec des personnages qu’on imagine sortis d’un album de Tintin, c’est l’occasion de balayer plus de quatre millénaires de l’histoire des mathématiques. Partant de l’antiquité lointaine, on traverse les siècles mais aussi les continents, puisqu’en dehors de l’Europe (pas seulement occidentale et grecque, il ne faut pas l’oublier), l’auteur rappelle le rôle essentiel qu’ont joué la Mésopotamie, l’Égypte ancienne, le monde musulman, l’Inde (d’où proviennent en réalité les chiffres « arabes »)… Sont ainsi rappelés, par exemple, l’origine historique des fameux théorèmes de Thalès et de Pythagore, des postulats d’Euclide et des trois grandes questions de l’antiquité qu’étaient la quadrature du cercle, la trisection de l’angle et la duplication du cube. Un point fondamental a été l’invention du zéro (due indépendamment aux Babyloniens, aux Indiens – qui ont su l’utiliser non seulement comme un chiffre mais aussi comme un nombre, l’intégrant ainsi dans les calculs – et aux Mayas), invention ouvrant la voie des nombres négatifs. Plus près de nous, dans le temps et l’espace, sont évoquées quelques grandes conjectures comme celles de Fermat, de Goldbach ou de Poincaré ainsi que la magnifique identité d’Euler (eiπ = -1). Le tout est présenté avec rigueur tout en restant ludique. Il est à signaler que Denis Guedj est l’auteur d’une douzaine d’autres ouvrages, dont La méridienne ou Le mètre du monde, traitant de la géodésie et de la métrologie, tous ayant rencontré le succès (incidemment Le théorème du perroquet a été traduit dans une vingtaine de langues).
Yaroslav de KOUCHKOVSKY
Denis Guedj, Le théorème du perroquet, 1998 + rééditions, coll. Points, Éd. Seuil, 660 pages, 8,70 €
HISTOIRE UNIVERSELLE DES CHIFFRES, de Georges Ifrah
Cette immense encyclopédie, parue en 1994 et toujours d’actualité, est exceptionnelle. Elle explore l’histoire des chiffres et du calcul.
Son auteur, Georges Ifrah, né à Marrakech en 1947, imprégné des cultures française, arabe et juive, et marqué par son souci pédagogique d’ancien professeur de mathématiques comme par sa passion pour l’histoire, a réalisé un vrai tour de force d’érudition.
Ce livre, abondamment illustré, dont le titre résume le contenu peut aussi bien se lire en entier (avec quand même une bonne dose de persévérance : quelque 2000 pages au total !) ou, plus simplement, être une source ponctuelle d’émerveillement.
Yaroslav de KOUCHKOVSKY
Georges Ifrah, Histoire universelle des Chiffres, 1994, coll. Bouquins, Éd. Robert Laffont, Tome 1, env. 1060 pages et Tome 2, env. 1020 pages, 2 x 24,85 €
NAISSANCE ET DIFFUSION DE LA PHYSIQUE, de Michel Soutif
Michel Soutif est un physicien bien connu des professionnels : fondateur d’un grand laboratoire de l’Université de Grenoble, ancien président de la Société française de physique et auteur de plusieurs manuels d’enseignement supérieur. Ce grand connaisseur de la culture chinoise (il est aussi professeur associé à l’Université Jiao Tong de Shanghai) a publié, en 1995, aux Presses universitaires de Grenoble « L’Asie source de sciences et de techniques (Histoire comparée des idées scientifiques et techniques de l’Asie) »
Si nous disposons de nombreuses monographies concernant l’histoire de la culture dans telle ou telle région du monde ou bien d’une sous-discipline particulière (où, souvent, l’Europe et le bassin méditerranéen sont privilégiés) il est exceptionnel de pouvoir lire une vue d’ensemble et critique de l’histoire d’une très grande partie de la physique, de ses applications pratiques et des répercussions sur les civilisations. Dans cet ouvrage des aspects très divers de la physique sont traités : méthodes de datation des objets archéologiques, les mesures (de longueurs, de surfaces, de volumes, du temps), la mécanique, l’optique, les actions à distance, l’énergie et les transports. Pour chacun de ces sujets les chronologies de diverses civilisations (Mésopotamie, Égypte, monde grec, Chine, Inde, Japon, Europe) sont comparées. Ces analyses et les choix des illustrations, dont beaucoup étaient inconnues dans le monde occidental, supposent une érudition exceptionnelle. Ce travail fait comprendre au lecteur les longs cheminements qui ont conduit à l’état des connaissances et des techniques que nous utilisons. Dans le cas où les priorités sont encore en discussion parmi les spécialistes les divers points de vue sont mentionnés. Par exemple l’invention du différentiel, une configuration d’engrenages actuellement utilisée dans la plupart des véhicules automobiles, parvient-elle de Chine (IIIème siècle) ou de Grèce en 80 av. JC ? Les questions les plus ardues ne sont pas évitées. Prenons le cas de la description des calendriers (y compris l’aztèque), elles sont concises et précises. Elles sont fondées sur les divers mouvements de la Terre qui sont exposés clairement sans recours à un calcul.
Il est parfois utile de se référer aux annexes où diverses chronologies sont présentées ainsi que, phénomène rare dans les livres français, des index pour les noms de personnes et de lieux géographiques.
Il ressort de nombreuses comparaisons que, bien que les approches théoriques et le rôle accordé à l’expérience soient souvent différents au cours de l’histoire en Orient et en Occident, de nombreuses applications techniques qui en sont déduites sont très voisines. L’éclipse provisoire et surprenante de la contribution chinoise aux XIXème et XXème siècles sont analysées. A la fin du livre les interactions entre les politiques des États et les développements scientifiques et techniques sont brièvement étudiées.
Au total une lecture qui oblige à revoir ce que l’on croyait savoir.
Jean BILLARD
Michel Soutif : Naissance et diffusion de la physique, E.D.P. Sciences, Les Ulis, 2014, 205 pages, 2ème éd. juin 2014, livre 49 €, téléchargement 33,99 €
COMPRENDRE LA PHYSIQUE, de David Cassidy, Gerald Holton et James Rutherford
Ce livre est la traduction en français du « Project Physics Course » dû à des professeurs de physique des États-Unis d’Amérique et destiné à des étudiants en sciences humaines, droit, architecture et commerce.
La plupart des manuels de physique supposent des connaissances en mathématiques parfois ardues (ce qui éloigne de nombreux publics, y compris des scientifiques dont la physique n’est pas le métier). Ce volume important rompt totalement avec cette tradition sans tomber dans la « vulgarisation ». L’objectif est de présenter les idées principales de la physique par le texte et plus de deux cents illustrations bien choisies, en les replaçant dans les contextes historiques et humains dans lesquels elles ont été créées et en précisant les ordres de grandeur des quantités évoquées.
Le plan de l’ouvrage s’efforce de suivre le développement historique de la science moderne en commençant par les mouvements simples des solides (expériences et concepts de Galilée, mouvements des planètes, attraction universelle, lois de conservation de grandeurs). Ces exemples sont employés pour montrer l’intérêt de relations de proportion entre grandeurs intelligemment définies pour représenter les lois de la nature et préciser les limites de validité de ces lois. La thermodynamique est abordée en s’appuyant sur la notion d’énergie introduite en mécanique et le rôle joué par la « Naturphilosophie » allemande dans l’élaboration du principe de conservation de l’énergie ne manque pas d’être rappelé en détail. Ne reculant pas devant les difficultés, les auteurs introduisent la notion d’entropie et montrent son intérêt. L’exposé de la théorie cinétique des gaz permet d’attirer l’attention sur les concepts de molécule et d’atome et de nier les mythes d’éternel retour. Vers le milieu du livre sont abordés les phénomènes ondulatoires. Les ondes mécaniques sont l’occasion de définir, toujours sans appareil mathématique, les concepts de base : propagation, interférences, diffraction, réflexion, réfraction. Avec ces notions est abordée l’optique. Les difficultés rencontrées historiquement dans ce domaine sont rappelées. Sont d’abord étudiés les effets qui confortent le modèle ondulatoire, y compris le bleu du ciel et le blanc des nuages, ainsi qu’une notion peu intuitive : la polarisation. Les obstacles soulevés par la propagation dans le vide sont bien décrits et conduisent à la nécessité de la nature électromagnétique de la lumière (qui n’est présentée qu’au chapitre 10) et de la relativité restreinte, qui fait l’objet du chapitre 9. Sont expliqués successivement les mouvements relatifs, les relativités galiléenne (pour les phénomènes mécaniques aux vitesses très inférieures à celle de la lumière) et restreinte (pour l’ensemble des phénomènes et aux vitesses constantes), l’invariance de cette vitesse de la lumière, les relativités de la simultanéité, du temps, des longueurs, de la masse et de l’énergie. L’importance de cette avancée théorique est illustrée par des exemples.
La deuxième partie est consacrée à l’électromagnétisme et à l’étude des atomes. Les explications s’efforcent, ici encore, de suivre les développements expérimentaux et théoriques historiques. Les nombreuses observations de phénomènes électromagnétiques et les quelques concepts nouveaux qui en sont abstraits (comme la charge électrique) sont clairement distingués. C’est à propos de la magnétostatique et de l’électrostatique qu’est introduite la notion de champ et, avec la pile de Volta, les concepts de courant et de potentiel électriques. Les interactions entre courants et champ magnétique sont, elles aussi, présentées selon l’ordre historique. Le fait que, pour la première fois, la force d’interaction entre deux sources ponctuelles n’est pas parallèle à la droite qui les joint est souligné. Il en est de même pour les difficultés rencontrées pour découvrir que les courants engendrés par un champ magnétique ne dépendent que de sa variation temporelle. Il est fait remarquer que, contrairement au cas des moteurs à vapeur, les applications de l’électricité ont résulté des connaissances scientifiques acquises préalablement. Les rayonnements électromagnétiques (rayons g, X, lumières, micro-ondes, de télévision et de radio) sont expliqués et leurs applications pour la production et le transport d’énergie et d’informations sont énumérées. Le concept d’atome est introduit par la chimie (tableau périodique de Mendeleïev) et celui d’électron par les rayons cathodiques. La quantification de la lumière est présentée par l’analyse de l’effet photoélectrique (les auteurs ont renoncé à relater la découverte de M. Planck de la quantification des échanges entre matière et rayonnement). Les régularités des spectres d’émissions lumineuses des gaz et la diffusion des rayons a par des atomes sont employées pour décrire le modèle planétaire d’atome qui exige qu’un électron situé sur certaines orbites ne rayonne pas. Malgré ses limites explicatives qui sont explicitées, il a attiré l’attention sur la façon d’utiliser les concepts quantiques. Les résultats de la relativité restreinte appliqués au photon lui font attribuer une impulsion ce qui permet de comprendre les faits observés en 1923 lors de l’interaction d’un photon avec un électron. Mais les photons révèlent aussi un comportement ondulatoire. C’est en supposant que cette dualité est générale que la longueur d’onde associée à un électron en mouvement a été obtenue puis confirmée expérimentalement et a permis de comprendre que les orbites non émissives des électrons correspondaient à des ondes stationnaires. Ces succès ont poussé les théoriciens à dégager, en quelques années, les notions de base nécessaires à une mécanique quantique qui permet de prévoir ou de comprendre de très nombreux phénomènes observables. En 1927 il a été trouvé qu’une des conséquences de la quantification est que les définitions de certaines grandeurs ne peuvent pas être déterminées avec une précision infinie : les indéterminations de couples de valeurs doivent satisfaire à une inégalité. Les exemples donnés d’emploi de cette mécanique nouvelle sont les conductibilités électriques de solides et les structures des noyaux atomiques.
A la fin de chaque chapitre sont fournies des listes des concepts nouveaux rencontrés, de questions de compréhension, d’exercices de réflexion et de calculs numériques simples. La bibliographie, essentiellement anglo-saxonne, est complétée par les traducteurs, Vincent Faye et Sébastien Bréard par quelques références en langue française.
L’on peut regretter qu’il ne soit pas indiqué que certaines des lois physiques mentionnées (par exemple la conservation de l’énergie) sont des actes de renoncement. La limite de la méthode d’exposition apparaît parfois (quantification des échanges déjà signalée) ; elle empêche le lecteur d’apprécier l’esthétique de certaines démonstrations parmi les plus élégantes comme celle de l’émission stimulée (A. Einstein, 1917). De l’origine du texte il résulte que les exemples pris aux États-Unis d’Amérique sont outrageusement privilégiés. Enfin, on est surpris de trouver dans ce texte de qualité quelques fautes de traduction répétées (par exemple test pour essai ou bien vérification ou encore technologie en place de technique).
Mais, au total, ce parcours à travers la physique contient un très grand nombre d’explications qualitatives que l’on aimerait trouver dans les manuels de physique (qui, souvent, sont plus faits pour former des professionnels de cette science que pour la culture des lecteurs). Cette lecture permettra d’apprécier comment des découvertes scientifiques ont suscité des réflexions philosophiques comme l’existence d’actions non locales, l’accessibilité des lois de la nature à la raison humaine et la possibilité de leur vérification expérimentale, la prédictibilité de certains phénomènes et les relations entre sciences, techniques et sociétés.
Jean BILLARD
David Cassidy, Gerald Holton et James Rutherford : Comprendre la physique, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne 2014, 836 pages, 49,50 €
MARIE CURIE PREND UN AMANT, d’Irène Frain
Sous ce titre un peu racoleur se cache pourtant un ouvrage sérieux extrêmement intéressant sur la vie privée et scientifique de Marie Curie, mais aussi sur la façon brutale dont la société française de l’époque a réagi quand elle s’est trouvée confrontée à l’histoire d’une femme, non seulement scientifique exceptionnelle mais en même temps personne humaine.
Comme le précise l’auteur, « Ce livre est une reconstitution. Comme telle, il comporte une marge d’incertitude et de conjoncture ». Mais il s’appuie sur une masse énorme de documents et d’archives consultés, de témoignages lus et d’une imposante bibliographie.
Il n’est pas question ici de résumer cet ouvrage d’environ 350 pages. Le sujet principal en est bien sûr la liaison que Marie Curie a entretenue avec le grand physicien Paul Langevin, plusieurs années après le décès de Pierre Curie dont il avait été l’élève et le collaborateur.
Il n’est pas sûr que le grand public ait entendu parler de cette histoire, qui semble avoir été soigneusement occultée – par les acteurs eux-mêmes – mais aussi par les pouvoirs publics qui ne souhaitaient pas « ternir » l’image de l’icône scientifique qu’était devenue Marie Curie. On en parlait vaguement dans le milieu scientifique, mais il n’est pas certain que les développements publics et politiques, rappelés par l’auteur sur la base de documents et de citations irrécusables, soient bien connus dans notre milieu, sauf peut-être par les historiens des sciences.
Cette histoire d’amour serait banale aujourd’hui, tellement s’étalent dans les médias les vies privées de tant de personnes célèbres. Sa description avec reconstitutions en fait un très bon roman, agréable à lire, qui donne une autre image de Marie Curie que celle communément reçue.
Mais l’autre intérêt de ce livre est la description, documentée aussi de façon détaillée, de l’hystérie qui s’est emparée des milieux de droite et d’extrême droite en ces années 1910 face à l’ascension scientifique d’une femme, de plus d’origine étrangère, et ensuite face à la mise au grand jour de sa vie sentimentale.
Lorsqu’elle annonce qu’elle se présente à l’Académie des Sciences (elle est déjà Prix Nobel avec Pierre Curie mais c’est la première femme à candidater à l’Académie des Sciences), les journaux se déchaînent. Par exemple, Le Figaro écrit, sous une plume anonyme « Nous avons déjà plus de femmes de lettres qu’un pays civilisé ne peut en supporter. Que les dieux favorables nous épargnent une génération de femmes de science » ! Un académicien écrit « Les femmes ne doivent point s’occuper d’autre chose que de la maternité » ! Elle ne fut pas élue…à deux voix près.
Mais tout cela est peu par rapport à la violence des réactions lorsque sa liaison est rendue publique, à la suite du vol par effraction de la correspondance privée du couple. Une violente campagne de presse commence, on l’appelle « l’étrangère », on veut la chasser de la Sorbonne, on réclame son expulsion vers la Pologne ; des émeutiers saccagent, en sa présence, une partie de son domicile. Peu de temps après elle reçoit son deuxième prix Nobel, mais les amants doivent se séparer de crainte que cette décision ne soit remise en cause.
Pour ceux qui n’avaient rien lu sur ce sujet, ce livre offre un résumé exhaustif de cette partie mouvementée de la vie de Marie Curie, mais rappelle aussi ce que fut l’ensemble de sa carrière.
Vladimir CAGAN, janvier 2016
Irène Frain, Marie Curie prend un amant, Éd. du Seuil, 2015, 368 pages, 21 €
ALZHEIMER : FATALTÉ OU ESPOIR ? de Francis Eustache et al.
Où en sont la Clinique et la Recherche sur cette maladie que nous craignons tous ? Comment en percevoir les premiers signes ? De quelle manière la prévenir ou en retarder l’évolution ?
Sensibilisés à ces questionnements en côtoyant les malades et leurs proches, Francis Eustache et son équipe ont voulu témoigner, en tant que neuropsychologues et spécialistes de la mémoire, de l’état actuel des connaissances sur l’Alzheimer.
Décrite en 1906 par le neuropathologiste Aloïs Alzheimer, cette maladie associe troubles de la mémoire, du langage et autres fonctions cognitives avec une modification progressive de la personnalité. Si les lésions cérébrales dégénératives et les dépôts amyloïdes ont dès le début été observés, les mécanismes déclencheurs n’ont commencé à être étudiés et formulés que vers 1960. Le diagnostic exact reste malaisé et requiert une approche multidisciplinaire avec tests cognitifs, analyses biochimiques et imagerie cérébrale.
Si l’examen des tests de mémoire reste le plus souvent le premier signe d’alerte, il se doit d’être étayé par l’analyse de différents biomarqueurs, autant pour le diagnostic que pour le suivi de la maladie. Un rappel très explicatif concerne surtout les protéines bêta-amyloïdes et TAU du liquide céphalo-rachidien et les données d’imagerie cérébrales.
L’hypothèse la plus répandue propose trois étapes pour l’évolution de cette maladie : en premier apparaissent les dépôts des protéines amyloïdes, puis viennent les éléments de dégénérescence fibrillaire (imagerie) et en dernier les troubles cognitifs. Mais les auteurs soulignent la grande complexité de cette maladie dont les manifestations peuvent varier d’un individu à l’autre.
L’efficacité des médicaments utilisés actuellement reste modeste mais réelle. Il est essentiel de continuer à stimuler les capacités cognitives de même que de maintenir les activités physiques et sociales pour conserver une bonne image de soi et de son identité. D’où l’importance de l’entourage.
Comme signes d’espoir sont évoqués :
– une amélioration certaine du diagnostic à l’aide de l’Imagerie cérébrale ;
– l’effet compensatoire de la « réserve cognitive » retardant les effets de la maladie ;
– le concept de prévention à partir de l’analyse de cohortes ;
– de nouvelles pistes en neuro-épidémiologie à partir de cas familiaux.
Un dernier et très intéressant chapitre relate les étapes d’un diagnostic clinique au travers d’entretiens entre un neurologue et une jeune femme accompagnant ses grands-parents à une consultation. Tout est expliqué sur la base de questions-réponses concrètes.
Pour conclure, il s’agit d’un petit livre, très bien référencié, qui n’a certes pas la prétention de tout résoudre mais celle de répondre avec simplicité à nos nombreuses questions. C’est un livre à mettre entre toutes les mains et en particulier celles des familles des malades, des aidants et des soignants.
Marie-Françoise MERCK
Francis Eustache, coordinateur, Gaëlle Chételat, Béatrice Desgranges et Vincent de la Sayette, contributeurs, Alzheimer : fatalité ou espoir ? Collection Choc Santé, Éd. Le Muscadier, 2015, 128 pages, 9,90 €
RESPIRATION ET PHOTOSYNTHÈSE, de Claude Lance
Il peut être utile de mentionner des « manuels » qui se distinguent de ceux couramment publiés. C’est le cas de celui que j’ai eu le privilège de recommander comme membre de son comité éditorial.
Ce livre a pour titre « Respiration et Photosynthèse » et pour sous-titre « Histoire et secrets d’une équation ». Son auteur, Claude Lance, est Professeur honoraire à l’Université Paris VI, Pierre-et-Marie Curie, spécialiste du sujet. Il y traite d’un aspect essentiel de la biologie, la bioénergétique, sans laquelle aucun des autres phénomènes vitaux ne pourrait exister. Car la vie implique, dans un espace semi isolé à perméabilité sélective et vectorielle, la coordination de trois flux pour assurer la structure et le fonctionnement, hors de l’équilibre thermodynamique, d’un ensemble allant de la cellule à l’individu. Il s’agit des flux de matière (métabolisme), d’information (génétique, environnement) et d’énergie (bioénergétique). Ce livre traite plus précisément de la respiration mitochondriale des cellules animales et végétales et de la photosynthèse primaire ayant lieu dans les chloroplastes des cellules chlorophylliennes. Toutes deux génèrent, au niveau infra-cellulaire, de l’ATP (adénosine triphosphate, dont la liaison phosphoryle labile libère par hydrolyse l’énergie initialement captée pour sa synthèse). Cet ATP est en quelque sorte la « monnaie universelle » énergétique de la cellule.
Le bilan extérieur de ces deux phénomènes peut s’écrire CnH2nOn + nO2 ⇆ nCO2 + nH2O + ∆G. Longtemps les connaissances s’arrêtaient à la constatation des échanges gazeux, de plus mal compris car O2 (dit « air déphlogistiqué » avant Lavoisier) et CO2 n’ont été identifiés comme tels qu’assez tardivement. La respiration (équation lue de gauche à droite) aboutit à l’absorption d’oxygène et au dégagement de gaz carbonique avec libération d’énergie (exergonique : ΔG<0), la photosynthèse étant l’inverse (équation lue de droite à gauche, endergonique : ΔG >0). C’est de cette équation qu’il s’agit dans l’ouvrage, plus exactement de l’ensemble complexe et coordonné des mécanismes moléculaires qu’elle sous-tend (les « secrets ») et dont la lente élaboration historique est exposée avant d’en détailler le contenu.
L’ouvrage s’arrête aux limites que cet auteur scrupuleux croit devoir s’imposer, ce qui exclut les apports essentiels de la biologie moléculaire et structurale à l’aube du XXIème siècle. Est-ce gênant ? Pas vraiment, car les notions de base qui sont exposées sont toujours indispensables pour les développements les plus récents. Je ne crois pas ici qu’il y ait de manuel aussi complet en langue française à ce point de vue.
Cependant, ce n’est pas sur cet aspect didactique, qui occupe la seconde moitié de l’ouvrage (3ème partie, intitulée Biochimie), que je souhaite m’appesantir. En effet, les deux premières parties, environ la moitié des quelque 600 pages au total, peuvent se lire indépendamment (et auraient pu d’ailleurs ‑ ou pourraient ‑ faire l’objet d’une édition séparée). Il s’agit de la longue et sinueuse histoire de nos observations, expériences et idées sur le monde matériel qui nous entoure, bien au delà donc du domaine de la biologie. L’auteur brosse ainsi un tableau fascinant, couvrant la haute antiquité, les temps intermédiaires (appelé en occident « Moyen-Âge » mais qui comprend aussi l’acmé de civilisations extra-européennes…), la Renaissance et l’Esprit des Lumières, pour aboutir aux temps contemporains. Au cours de ce survol de 25 siècles on rencontre plus de 300 philosophes et scientifiques, certains mal connus en dehors du cercle des spécialistes mais souvent ô combien essentiels. On débute la lecture par la description des quatre éléments qu’enseignait Aristote à la suite de Platon (et de précurseurs encore plus lointains). On passe ensuite, par de nombreuses étapes liées à l’alchimie, à la théorie du « phlogistique » de Becher et Stahl au XVIIe siècle puis aux travaux fameux de Lavoisier la réfutant définitivement. On aboutit enfin à la connaissance des éléments ayant permis à la chimie et, dans son sillage, à la biochimie modernes de s’épanouir après un parcours hésitant. Ce fut en particulier le cas en bioénergétique avant que ne s’imposent ses paradigmes actuels, dus entre autres à Hans Krebs, Peter Mitchell, Paul Boyer et John E. Walker, pour ne citer que ces quatre prix Nobel couronnés pour leurs travaux de biochimie et de biophysique fonctionnelles et structurales.
Certes, on peut trouver ces informations dispersées dans une histoire plus générale des sciences, mais ce serait au détriment d’une lecture continue qui, seule, peut faire saisir comment, petit à petit, nous avons mieux compris les choses et pourquoi, à un moment donné, nous avons pu développer des concepts nous paraissant maintenant aberrants. Ce qui est exceptionnel aussi, c’est que l’auteur ne se contente pas de raconter l’histoire, il l’appuie sur de multiples citations, éventuellement in extenso, des maîtres à penser ‑ ou des iconoclastes ‑ d’une époque, avec en plus de nombreuses illustrations d’alors (schémas, appareils, portraits). À mon avis, il n’existe pas d’ouvrage comparable, ni en français, ni en anglais. C’est quelque chose de passionnant et d’irremplaçable. Je crois que Claude Lance a fait œuvre de grand pédagogue et on sait l’importance que revêt l’histoire des sciences pour la compréhension des phénomènes et des interprétations tels qu’on les connaît maintenant.
Une autre particularité de ce livre est la qualité de son écriture, représentative d’une génération pétrie de lettres classiques. On appréciera la présence d’une table des matières détaillée, d’annexes, dont une bibliographie sélective, et d’index des auteurs cités et de la chronologie de l’histoire. En revanche, on peut regretter que l’iconographie reste en noir et blanc (ce qui est évident pour les temps anciens !), économie oblige. Peut-être l’éditeur aurait-il pu se passer d’une couverture reliée et d’un papier de qualité au bénéfice de la couleur… ou du prix, beaucoup trop élevé, même en version informatique, pour concerner un public élargi.
Yaroslav de KOUCHKOVSKY
Claude Lance, Respiration et Photosynthèse – Histoire et secrets d’une équation, 2013, coll. Grenoble Sciences, éd. edp sciences, env. 610 pages, env. 18×25 cm, relié 95 € ; fichier « .pdf » seul : 65,99 €
CHERCHEUR AU QUOTIDIEN, de Sébastien Balibar
Cet opuscule est dû à Sébastien Balibar (j’ignore s’il est apparenté à Etienne Balibar, philosophe, Françoise Balibar, physicienne et à leur fille, Jeanne Balibar, actrice et chanteuse). Ancien élève de l’École Polytechnique, directeur de recherche au CNRS et, depuis 2011, membre de l’Académie des Sciences, Sébastien Balibar anime au Laboratoire de physique statistique de l’École Normale Supérieure de Paris une équipe au nom que certains trouveront exotique de « Mouillage et nucléation » et couvrant divers thèmes dont « Supersolidité » et « Plasticité et dislocations dans les cristaux d’hélium ». C’est à ces sujets que S. Balibar a consacré son récit. Il y décrit la vie quotidienne d’un chercheur (il précise « Je suis un physicien expérimentateur, pas un théoricien, mais j’ai besoin d’équations pour que ma physique soit une science. », ce en quoi quelques biologistes se reconnaîtront).
Le personnage principal est un encombrant mais délicat « frigo », situé dans un sombre sous-sol de l’ENS, ce qui a l’avantage d’être à l’abri des vibrations des pompes enfermées dans un local distinct. L’obsession est d’éviter toute fuite qui pourrait causer une explosion et surtout faire perdre le précieux mélange d’hélium 4 et 3, ce qui ruinerait toutes les expériences sur le mystère de l’hélium pouvant être solide et liquide à une température proche du zéro absolu.
On grimpe avec lui à vélo la « montagne Sainte Geneviève » pour rejoindre son labo, parfois le dimanche si un point le tourmente. On vit avec lui les inquiétudes du chercheur à propos de problèmes tant techniques qu’expérimentaux et théoriques. On le suit dans l’atelier de mécanique où se fabriquent les pièces constitutives de ses appareils, quand il ne s’en occupe pas personnellement. Pour l’avoir vécu, vélo compris (mais à Gif), comme expérimentateur devant concevoir et faire construire, en mettant moi-même la main à la pâte, des montages optiques et électrochimiques (plus simples), je comprends son implication dans tous les événements qu’il décrit et je ne dois pas être le seul !
L’ensemble est écrit dans une langue dont l’absence de prétention littéraire lui assure son authenticité. Sébastien Balibar est également l’auteur de trois autres ouvrages : Demain la physique (collectif, Odile Jacob, 2004), La pomme et l’atome (Odile Jacob 2005, traduit en 5 langues), Je casse de l’eau et autres rêveries scientifiques (Le Pommier, 2008).
Sébastien Balibar, Chercheur au quotidien, 2014, coll. « raconter la vie », éd. Seuil, 63 + 17 pages, 5,90 €
P. S. : Il faut signaler le numéro spécial de La Recherche (N° 490, août 2014, 6,40 €) intitulé LES 40 LIVRES DE SCIENCE INDISPENSABLE. Le choix est évidemment difficile dans ce genre d’exercice mais il est ici plutôt pertinent, quoiqu’avec des commentaires assez inégaux selon leurs auteurs. On peut évidemment s’étonner de l’absence de certains titres au bénéfice d’autres, en particulier regretter que l’ouvrage essentiel d’Erwin Schrödinger Qu’est-ce que la vie ? (What is Life ?), en poche chez Point Sciences pour 8,10 €, n’ait pas été sélectionné.
Yaroslav DEKOUCHKOVSKY
AU COEUR DU VIVANT – Les cinquante ans de l’INSERM
Il s’agit d’un bel album d’anniversaire que s’offre l’INSERM pour ses 50 ans. Les deux auteurs, historiens, Pascal Griset, professeur universitaire, et Jean-François Picard, chercheur CNRS, se sont admirablement appuyés sur tous les documents d’archives disponibles à l’INSERM pour que ce livre, de bonne taille, puisse se lire de deux manières :
- richement illustré de nombreuses photos estampillées de légendes retraçant les grandes étapes de la vie de l’Institut, il peut être feuilleté agréablement ; les photos d’archives sont impressionnantes de vie et le choix du noir et blanc pour les plus anciennes en renforce le poids historique ;
- ceux qui veulent comprendre l’évolution de la recherche médicale en France à travers l’histoire de l’INSERM le liront de bout en bout.
À la lecture de cet ouvrage on pourra découvrir les étapes majeures de la vie de l’INSERM.
La recherche scientifique publique en France commence avec la création du CNRS en 1939 « destiné à combler les déficiences de l’Université en matière de recherche académique ». L’ancêtre de l’INSERM, l’Institut national d’hygiène et de nutrition (INH) est mis en place en 1941 pour répondre aux problèmes d’hygiène et de nutrition posés par l’Occupation. À la Libération, le pays se reconstruit et de nombreux organismes publics (dont la Sécurité sociale) sont créés en parallèle. C’est avec la Vème République et la volonté de coupler développement économique et recherche que s’ébauche un ministère de la recherche. Le général de Gaulle œuvre d’emblée pour une politique d’excellence en recherche et technologie en créant la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST). Robert Debré lance avec l’aide de Jean Dausset la réforme hospitalière. Celle-ci a pour but de rapprocher l’hôpital de l’université via la création des Centres hospitaliers universitaires (CHU) et des postes de professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH).
Très vite les sciences de la vie deviennent prioritaires et la médecine veut profiter des acquis des nouvelles technologies.
En 1964, naissance de l’INSERM suite à la fusion de l’INH et de l’Association Claude Bernard, fondée à la Libération par des cliniciens soucieux d’introduire la recherche dans l’hôpital. Le but est de créer un véritable institut scientifique, pluridisciplinaire, dédié à la recherche biomédicale dans le contexte d’une réforme du système de santé. Principalement épaulé par des personnalités hospitalières marquantes, l’INSERM doit trouver peu à peu sa place entre santé et recherche. En 1968, les chercheurs revendiquent d’être reconnus face aux médecins hospitaliers. Ils dénoncent le principe du « mandarinat » et obtiennent la représentation d’élus dans les instances de l’organisme.
Au cours de ses 50 ans d’existence et au gré des alternances politiques, sept présidents se seront succédés à la tête de l’INSERM. Ils auront permis de construire une assise nationale et internationale à cet organisme. Deux de ces présidents se sont maintenus dix ans ou plus à sa direction.
Avec Constant Burg (1969-1979), l’INSERM se structure et instaure des instances d’évaluation rigoureuse. Déjà, il s’agit de trouver un équilibre entre recherche fondamentale et appliquée, et de définir les principes des subventions : subvention de base et sur programme (Action thématique programmée, ATP), subvention publique et privée (Association pour la recherche sur le cancer, ARC).
Avec Philippe Lazar (1982-1996), le seul non-médecin des présidents, l’INSERM devient Établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST), ce qui permet aux chercheurs d’accéder à un statut plus stable. Dans un contexte de démédicalisation de l’INSERM, Philippe Lazar s’efforcera d’encourager l’essor de grands essais thérapeutiques. Il favorisera les accords entre l’hôpital et la recherche (Centres d’investigation clinique, CIC) et leurs interactions, en particulier dans l’urgence d’une mobilisation générale pour combattre le sida. La politique de décentralisation de la recherche se poursuivra par la création de Contrats jeune formation (CJF) en province, de Conseils scientifiques consultatifs régionaux de l’INSERM (CSCRI). Le regroupement d’équipes autour de gros équipements commence avec les Instituts fédératifs de recherche, IFR.
Suite à une reconnaissance croissante de la recherche biomédicale, la coordination entre organismes devient indispensable. C’est ce qui va être progressivement mis en place par Claude Griscelli, Christian Bréchot (Réunion inter-organismes, RIO) et finalement Alain Syrota avec l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), où INSERM et CNRS, en rivalité depuis toujours, se retrouvent.
Dans les deux chapitres qui suivent, Pascal Griset et Jean-François Picard relatent l’essentiel des nombreuses découvertes faites dans les laboratoires INSERM en dégageant leurs apports respectifs à l’édification d’une nouvelle médecine. Ces découvertes sont surtout décrites dans les domaines de l’immunologie, de la virologie, de la génétique et la génomique, du cancer, des neurosciences et de la santé mentale.
Les réponses de l’INSERM aux demandes sociétales sont traitées à la fin de l’ouvrage. Les nouveaux défis des sciences de la vie face aux problèmes de santé publique placent l’INSERM au cœur du dialogue entre science et société. Expertises collectives, coopérations multidisciplinaires, regroupement multi-organismes permettent « d’intégrer dans un ensemble cohérent les multiples facettes de la Recherche sur des sujets sensibles ». L’éthique, qui a toujours été une des préoccupations primordiales de l’INSERM (1er comité en 1974), devient un support stratégique essentiel. Enfin, les associations de malades sont de plus en plus considérées comme des partenaires incontournables à la recherche biomédicale. Depuis plus de dix ans, l’INSERM les intègre dans ses missions pour faciliter leurs interactions.
En conclusion, ce livre attractif, passionnant et stimulant devrait être lu non seulement par tous ceux qui ont (ou ont eu) la chance d’appartenir à cet Institut mais surtout par tous ceux qui s’intéressent, et ils sont nombreux, au parcours et à l’avenir de la recherche biomédicale en France. Cet avenir est déjà là : un bel exemple est celui de l’espérance de vie passée de 74,8 à 84,8 ans chez les femmes et de 67,7 à 78,4 ans chez les hommes entre 1964 et 2012. Ces retombées de la recherche biomédicale débouchent directement sur de nouvelles exigences de santé publique, dont le maintien pour tous d’une qualité de vie satisfaisante. Et c’est à la recherche biomédicale, en particulier l’INSERM, d’y répondre dès que possible.
Marie-Françoise MERCK
Pascal GRISET et Jean-François PICARD, Au cœur du vivant. 50 ans de l’INSERM, 2014, 207 pages, éd. Le Cherche-Midi, 34 €
Voici deux titres un peu rares dans la catégorie des ouvrages scientifiques, commentés par un biologiste : que les lecteurs compétents le pardonnent…
THÉORÈME VIVANT, de Cédric Villani
Ce livre est dû à Cédric Villani, médaillé Fields à 37 ans en 2010, actuellement professeur à l’École Normale Supérieure de Lyon et directeur de l’Institut Henri Poincaré à Paris. Cultivant, avec beaucoup de naturel, une certaine originalité extérieure, il est très ouvert sur le monde, contrairement à, par exemple, ses aînés Alexandre Grothendieck, en France, ou Grigori Perelman, en Russie, réfugiés maintenant dans une vie d’ermite d’où semblent maintenant bannies à jamais les mathématiques.
La qualité de communiquant de C. Villani, est agréablement présente dans le texte sans altérer pour autant l’importance théorique des travaux qui y sont exposés. Il ne s’agit pas d’un roman, comme en publie normalement la maison d’édition Grasset, mais d’un journal, qui couvre la période de mars 2008 à novembre 2010. En substance, c’est le récit de la lente gestation du théorème fondamental qui, élaboré avec son collègue Clément Mouhot, a fait reconnaître l’auteur par ses pairs. On y constatera sans surprise que la vie d’un chercheur en mathématiques ne se distingue pas fondamentalement, dans ses relations entre collègues et avec les revues, de celle des chercheurs dans d’autres disciplines. Écrit dans un style simple, mais fluide, il est accessible au profane pour ce qui est du texte principal, quitte à survoler les nombreuses copies de mails professionnels ou les équations données dans le texte ou en annexe. D’ailleurs, ces dernières ajoutent un certain charme typographique à l’ensemble… Quelques dessins au trait par Claude Gondard les complètent.
Yaroslav DEKOUCHKOVSKY
Cédric Villani, Théorème vivant, Grasset 2012, 282 pages, broché 15,5×22,5 cm, 19 €
LOGICOMIX, de Apostolos Doxiadis et Christos Papadimitriou
Le deuxième ouvrage demande une attention soutenue qu’on n’attendrait pas d’une bande dessinée, plus exactement d’un « roman-graphique », bien que le terme de roman ne lui convienne pas plus qu’au titre précédent. Traduit de l’anglais, ce livre est consacré à la logique mathématique et pour cela s’appuie sur une conférence de Bertrand Russell, en 1939 (ce qui permet, au passage, d’évoquer son pacifisme). On y lit l’émergence de sa personnalité et de sa pensée, d’abord dans le pesant cadre familial puis dans celui du monde académique. On suit les idées et les controverses qui ont agité le monde des logiciens à la fin du 19ème siècle et dans la première moitié du 20ème siècle. Tous les grands noms des mathématiques, de la logique et de la philosophie sont successivement mis en scène. Après l’évocation de sa rencontre avec son premier mentor, Whitebead (avec qui il publia les Principia Mathematica), on voit Russell discuter en Allemagne avec le très irascible également misogyne et antisémite Frege ou le tout autant désaxé Cantor, concepteur de la théorie des ensembles, à propos de laquelle s’affrontaient David Hilbert et Henri Poincaré. On vit les obsessions que génèrent certains paradoxes logiques, comme celui de Russell lui-même : l’ensemble de tous les ensembles ne s’appartenant pas à eux-mêmes s’appartient-il lui même (il faut distinguer ici l’appartenance de l’inclusion) ? Si oui, il ne s’appartient pas, si non, c’est l’inverse. Ce paradoxe, dit aussi du « barbier », s’apparente quelque peu au « paradoxe du menteur » d’Épiménide de Crète, au 6ème siècle avant notre ère quoique son historicité soit discutée. (En fait, le paradoxe d’Épiménide, tel qu’habituellement formulé, est ambigu.) On rencontre ensuite Ludwig Wittgenstein, auteur en 1921 du célèbre Tractatus logico-philosophicus. Aussi tourmenté dans sa pensée que dans sa vie personnelle, il abandonna son immense héritage à ses sœurs pour devenir un temps instituteur dans un petit village où il se distingua par une pédagogie novatrice (ce ne fut qu’une dizaine d’années après qu’il reprit un poste à Cambridge). Un autre personnage fascinant est Kurt Gödel, qui sombra dans une psychose paranoïaque. Son grand œuvre fut la formulation du « théorème d’incomplétude » (en fait, de deux théorèmes), selon lequel il existe des énoncés indémontrables bien que vrais, ce qui ébranle l’édifice axiomatique des mathématiques. (Sorti de son domaine, où chaque terme a un sens précis, ce théorème fut exploité de manière pour le moins discutable – en particulier s’adressant à un auditoire ou un lectorat peu au fait – par le psychanalyste Jacques Lacan ou le penseur « post-moderne » Régis Debray, ce dernier repris par Michel Serres : cf. Alan Sokal et Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Odile Jacob 1997
On peut lire ce livre à plusieurs niveaux : comme une belle histoire, comme le récit des dérives pathologiques de certains grands esprits ou comme une quête logico-mathématique dans ses bases les plus fondamentales. Du point de vue iconographique, l’ouvrage est tout autant réussi, avec une alternance de grandes et petites vignettes, dessinées d’un trait fin et classique par Alecos Papadatos et agréablement coloriées par Annie Di Donna.
Yaroslav de KOUCHKOVSKY
Apostolos Doxiadis et Christos Papadimitriou, Logicomix, Vuibert 2012, 382 pages, broché 17×23,5 cm, 22,90 €
PLUSIEURS TITRES
À peine l’Homme s’est-il adapté à son environnement, que le monde a déjà changé ! Dans tous les domaines de la Science, les découvertes se multiplient à un rythme accéléré, de nouvelles disciplines et sous-disciplines naissent tandis que les notions fondamentales de la physique, des mathématiques, de la biologie se croisent et tissent un monde étrange, nous invitant à la fréquentation des multi-univers, de la matière noire, et renversent jusqu’aux fondements de nos évidences ;
Comment nager (surnager ?) dans ce maelstrom et faire son miel de cette connaissance nouvelle ? En profitant du remarquable travail d’éditeurs qui, faisant appel à d’excellents spécialistes, la mette à notre portée, toujours avec intelligence, souvent avec humour et parfois poésie. Impossible d’être exhaustif, alors ne citons que nos derniers bonheurs de lecture.
Les éditions de La Découverte offrent ainsi un Métaphysique quantique, les nouveaux mystères de l’espace et du temps, dans lequel Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod nous introduisent dans les prémisses puis les vertiges de concepts pas si nouveaux mais qui chamboulent notre cartésianisme 3D. En 140 pages, ils nous ouvrent d’étonnantes perspectives dans un langage et à l’aide de croquis simples et clairs.
Dans Le ver qui prenait l’escargot comme taxi et autres histoires naturelles, Jean Deutsch, zoologiste et généticien, nous promène en 12 chapitres et 270 pages, dans le monde de l’évolution et de la biodiversité. Une nouvelle édition de ce livre (Seuil, Points-Science), prix Jean Rostand 2008, nous fait découvrir l’origine de la bilatéralité, l’empreinte épigénétique des parents chez les descendants, comment les branchies des poissons se sont transformées en ailes, comment l’évolution a créé des « monstres prometteurs » par des variations brusques qui, pourquoi pas, auraient pu se produire à diverses reprises, etc. Bases moléculaires ou morphologiques ? Le débat serait vain, et Jean Deutsch, comme Alain Prochiantz et d’autres d’ailleurs, propose d’intégrer la biologie du développement aux études novatrices sur l’héritabilité et la phylogénie du vivant, dans une approche dite courant EVO-DEVO (Évolution-Développement). A suivre donc.
Chez Quae sont publiés les actes d’un colloque multidisciplinaire L’homme peut-il s’adapter à lui-même ? En 176 pages, 10 planches et de nombreuses figures et références bibliographiques, 25 contributeurs prestigieux ont ainsi planché : de Jean-Claude Ameisen (le nouveau président du Comité national d’éthique), en passant par Jacques Delors, Albert Fert (prix Nobel de physique) et Cédric Villani (médaille Fields), sans oublier Jean-Pierre Dupuy (philosophe), Jean-François Minster (directeur scientifique de Total), Lionel Naccache (neurophysiologiste), Jacques Weber (économiste et anthropologue) ou Pascal Picq (paléoanthropologue, Collège de France), etc., etc. Vous sortirez de cette passionnante lecture avec encore plus de questions à aborder urgemment que de réponses apaisantes à ce que l’avenir nous réserve… Peut-être ? Probablement ? Passionnés de la vie des fourmis et autres insectes sociaux, vous serez émerveillés après avoir lu la vie fascinante des colonies de microorganismes contée par 4 chercheurs et publiée par les éditions Quae, Carnets de Sciences. Dans une langue alerte, humoristique souvent, et remarquablement illustré, ce livre nous décrit une étonnante stratégie d’adaptation qui, depuis l’origine de la vie ou à peu près, a permis la survie de ces sociétés qui constitueraient presque un organisme vivant, qui naît, vie et meurt… Des bactéries nageuses percent un biofilm, architecturé « à dessein », pour faciliter les échanges nutritionnels et énergétiques ; une compétition acharnée pour l’espace va jusqu’à imposer différenciation morphologique et/ou expression des gènes : des variants apparaissent, des plasmides s’échangent et le biofilm change de nature et de structure. Ubiquistes avec des effets à découvrir, néfastes ou bénéfiques, indispensables à la vie, ce livre (Biofilms, quand les microbes s’organisent, 160 pages), se lit comme un roman et se feuillette comme un livre d’images, sans perdre de sa qualité et de sa rigueur scientifiques.
Enfin, l’Institut Écologie et Environnement du CNRS nous propose, au Cherche-Midi, un ouvrage collectif Écologie chimique, le langage de la nature. Une conception et une mise en scène originales font alterner des « focus recherche » avec de courts paragraphes informatifs, le tout superbement illustré. Des encarts et des messages soigneusement rédigés pour un impact maximum, en 12 chapitres « décoiffants » et 190 pages, biologie et chimie sont associées pour apporter au lecteur étonnement, plaisir, amusement… et connaissance approfondie d’une nouvelle discipline qui décrit le monde qui nous entoure, en éclaire les mystères et les interactions, une bonne préparation à une compréhension et une pratique d’une écologie intelligente. Une lecture nécessaire donc !
Rose-Agnès JACQUESY